Le
trompettiste débutant ou amateur s'intéresse en priorité
à la facilité de jeu et à la justesse de son instrument.
En revanche, l'amateur expérimenté et le professionnel attachent
une grande importance au son et choisissent souvent la marque de leur instrument
en fonction du type de son recherché. Qu'est-ce qui différencie
le son d'un instrument à un autre ?
D'abord, rappelons que le son transmis à l'auditeur résulte d'une
vibration créée dans la cuvette de l'embouchure et filtrée
par l'instrument qui transmet certaines fréquences mieux que d'autres.
La fonction de transfert
typique a été étudiée par Arthur Benade. Elle
varie en fonction de la nuance jouée : plus on joue fort, plus le son
est riche en harmoniques aiguës. Pour schématiser, le spectre du
son perçu dépend de trois facteurs :
• le spectre sonore créé dans l'embouchure
• la transformation du spectre sonore par la trompette
• la transmission du spectre sonore à l'auditeur ou au trompettiste
L'embouchure et la colonne d'air interne ont plus d'influence sur le
son que la trompette utilisée.
Si vous avez lu la page sur l'émission
du son, vous connaissez l'importance de la colonne d'air interne du musicien
pour jouer sans effort dans le registre aigu. En ajustant la résonance
de la colonne d'air interne sur la note jouée, on modifie aussi le contenu
harmonique de la vibration dans l'embouchure, en renforçant le fondamental
et les premiers partiels, ce qui se traduit auditivement par un son plus "rond".
Quand je travaillais la trompette piccolo avec Alain Faucher, il pouvait dire
à coup sûr si le larynx était ouvert ou non, rien qu'en
entendant une ou deux notes. Un bon professeur de trompette reconnaît
ainsi immédiatement si un élève joue "sur l'air"
ou "sur la gueule" quelle que soit la trompette ou l'embouchure utilisée.
Le volume et la forme de la cuvette de l'embouchure déterminent la proportion
des harmoniques engendrées par la mise en vibration de l'air. Avec une
embouchure à cuvette peu profonde, la vibration initiale est riche en
harmoniques aiguës, et le son transmis par la trompette sera plus brillant
que celui produit par une cuvette profonde qui produit peu d'harmoniques de
rang élevé. De même, pour un débit d'air donné,
c'est à dire un niveau sonore donné, une petite embouchure produit
plus d'harmoniques élevées qu'une cuvette de plus grand volume.
Essayez deux trompettes différentes (par exemple une
Schilke et une Bach) en jouant de façon aussi identique que possible
avec la même embouchure, puis la même trompette avec deux embouchures
différentes (par exemple une Schilke 14B et une Bach 1½C) et demandez
à un auditeur placé à quelques mètres devant vous
de noter la différence de son qu'il entend. Il vous dira probablement
qu'il n'y a pratiquement pas de différence de son entre les deux trompettes
(à part que la Bach parait jouer plus fort), mais en revanche une différence
de timbre importante entre les deux embouchures. Pourtant, vous, qui avez joué
les deux instruments, trouvez que les deux trompettes sonnent de façon
bien différente ! Ainsi l'orchestre philharmonique de Vienne impose à ses trompettiste de jouer
avec une embouchure Breslmair G1 ou G2 pour avoir sa sonorité caractéristique,
le "Wiener Klangstil" (mais certains de ses trompettistes jouent tout de même sur Yamaha 15E4...).
Regardez la vidéo ci-dessous, où sont comparées une trompette bas de gamme à 200$, une Bach Strad à 2000$ et une Monette à 20000$, chacune jouée avec son embouchure d'origine puis avec l'embouchure Monette. Elle montre clairement que c'est principalement l'embouchure qui détermine le son (mais elle ne dit rien de la différence de facilité de jeu, et une trompette dure à jouer finit toujours par dégrader le son en épuisant le trompettiste !)
Le son perçu par le trompettiste est différent du son
perçu par l'auditeur.
En effet, le trompettiste est dans une position d'écoute particulière,
très près derrière l'instrument et non à quelques
mètres devant ; en outre, une partie du son qu'il perçoit est
transmise par conduction osseuse de la bouche à l'oreille interne. On
s'en rend compte facilement quand on joue malgré une bonne sinusite ou
en se bouchant les oreilles avec des boules Quies : le son perçu est
nasillard et désagréable, car la transmission par conduction osseuse
devient prépondérante.
La vibration de l'instrument, en particulier du pavillon, donne au son une coloration
parfaitement perceptible par celui qui en joue mais peu perçue par l'auditeur.
La raison est que l'énergie transmise à l'air ambiant par la vibration
du métal est faible devant celle transmise par la colonne d'air, mais
comme le trompettiste est juste derrière le pavillon, qui lui
masque partiellement la vibration de la colonne d'air, la proportion des sons
en provenance des deux sources est pour lui différente. Pour vous en
convaincre, lisez le témoignage*
de Jim Donaldson ("The Schilke Loyalist").
Un son riche qui porte loin repose sur un certain compromis avec la
justesse.
Si vous avez lu le texte de Arthur Benade, vous savez que le timbre d'une note
résulte de la mobilisation
simultanée de plusieurs résonances
de l'instrument. Plus l'énergie acoustique est répartie
entre ces résonances, plus le timbre est riche et plus le son
est perçu distinctement par l'auditoire : on dit qu'il "porte"
plus loin. Or si l'instrument est parfaitement juste pour la gamme
tempérée, les résonances ne sont pas calées
exactement sur les harmoniques naturelles de la note émise ; en
particulier, la tierce entre les harmoniques 4 et 5 est plus courte que
ne l'exige la gamme tempérée (problème de
l'intervalle entre le "do" et le mi" à vide).
Il en résulte une instabilité de la justesse en fonction
du niveau sonore. En effet, plus on joue fort, plus les
résonances supérieures sont excitées. La
fréquence fondamentale de la note émise se recale alors
à une valeur telle que ses harmoniques soient en moyenne proches
des résonances de l'instrument : en général, sur
une trompette de bas de gamme, les notes graves montent et les
aiguës baissent quand on joue plus fort. On peut corriger cet
effet gênant "avec les lèvres", mais alors le son
s'appauvrit car ses harmoniques supérieures sont moins soutenues
par les résonances de l'instrument, le son porte moins, on se
fatigue plus vite et on prend le risque de rater l'attaque.
On pourrait
chercher un compromis en faisant en sorte que certains pics de résonance
soient élargis de façon à concourir au timbre sans être
exactement calés sur les multiples de la fréquence fondamentale
de la note, comme dans le cas de la trompette naturelle à trous
(voir la figure
12 de Benade). Vous trouverez aussi un exposé de ce problème
dans deux articles de
1976 et
de 1978 de Richard Smith. En fait, parmi les instruments actuellement
fabriqués,
il y clairement deux écoles : Yamaha, Schilke ou Stomvi font des
instruments
à la justesse irréprochable mais leur son "porte" moins
bien que celui d'une Bach parce qu'il emprunte moins d'énergie aux
résonances
supérieures.
Ah, s'il existait une trompette offrant le son et le rendement d'une Bach avec
la justesse et la réponse d'une Schilke, comme la vie serait plus facile ! Monette
dit avoir trouvé la solution, mais au prix où sont ses
trompettes, je n'ai pas eu la possibilité de le
vérifier...
La forme et les modes de résonance propres du pavillon modifient
le contenu harmonique de la vibration de l'air.
On sait que le pavillon est un adaptateur d'impédance entre la colonne
d'air enfermée dans le tube de l'instrument et l'air ambiant. Plus
la partie conique du pavillon est évasée, mieux il transmet
les basses fréquences, ce qui explique la différence de son
entre un bugle ou une trompette à palettes et une trompette à pistons.
En outre, les modes
vibratoires du métal du pavillon filtrent le timbre de leurs
propres fréquences : si le pavillon vibre à une fréquence
qui fait partie du spectre de vibration de la colonne d'air, toute l'énergie
correspondant à cette fréquence sera absorbée par la vibration
du métal et
le son émis sera appauvri de cette même fréquence (voir
l'article de Renold
Schilke). Bien que cette influence soit faible comme on vient de le montrer,
elle contribue de façon
subtile à la
musicalité
du son, de même qu'un violon sonne différemment selon l'archet
utilisé. La preuve
de cet effet, qui est souvent controversé, a été
apportée par Thomas Moore, professeur au Rollins College. Il en donne deux explications dans un article publié dans le ITG Journal de juin 2005 : d'une part, la vibration du pavillon se transmet aux lèvres et influence le contenu harmonique de leur vibration, d'autre part la vibration du pavillon augmente l'épaisseur (quelques microns) de la couche d'air limite entre la colonne d'air vibrant au milieu du tube et la paroi contre laquelle l'air est immobile, ce qui modifie l'impédance à cette fréquence.
La différence entre trompettes de gamme professionnelle se situe
au niveau de cette nuance musicale, mieux perçue par le
trompettiste que par l'auditeur, qui justifie les raffinements de la
facture instrumentale : pavillon d'une seule pièce
chaudronné à la main, soigneusement recuit à des
endroits précis, utilisation de métaux particuliers
(cuivre rouge, argent massif, bronze de béryllium, etc...),
doublure du pavillon (Courtois Évolution II) ou application d'un
anneau en maillechort (nickel silver) à sa
périphérie (option souvent proposée sur les
trompettes allemandes), etc. Il faut cependant se méfier des
impressions subjectives lors des essais d'instruments : Richard Smith a
montré que la différence
de son entre des pavillons d'épaisseurs et de matériaux variés cessait d'être
perçue quand l'instrumentiste n'en était pas informé ...
Notez aussi que les résonances du métal ont une influence sur
la justesse puisque la hauteur de la note perçue résulte de
l'addition de plusieurs résonances de la colonne d'air modifiées
par les résonances
du corps de l'instrument (branche d'embouchure et pavillon). On peut ajuster
dans une certaine mesure ces résonances en choisissant avec soin la position
des entretoises entre le pavillon et le reste de l'instrument.
Le choix du pavillon détermine aussi l'angle de dispersion du son.
De tous les instruments de musique, la trompette est celui qui émet le son le plus directif. Dans un article publié en 1995,
des chercheurs finlandais ont montré que le niveau sonore chute
de 5 à 15 dB, selon la fréquence, quand on
s'écarte de 50° de l'axe de l'instrument. Or la bande de
fréquences la plus importante pour la perception du son, celle
qui permet de suivre facilement la mélodie au sein des tutti
orchestraux, est centrée autour de 3 kHz (c'est aussi la bande
de fréquences qui contient la plus grande partie de
l'information intelligible de la parole), pour laquelle le niveau chute
de 10 dB environ à 50° de l'axe. Cette bande de
fréquences ne contient bien sûr que des harmoniques des
notes jouées à la trompette, d'où la
nécessité d'un son riche pour porter loin (voir plus
haut).
Un trompettiste d'orchestre doit savoir utiliser la directivité
de son instrument selon le caractère musical de ce qu'il joue,
en orientant le pavillon vers le sol quand le son doit être fondu
dans celui de l'orchestre, ou vers l'auditoire (ou le microphone) quand
il doit faire ressortir une phrase musicale. Mais il peut aussi
décider, en choisissant sa trompette, s'il privilégie la
portée du son, avec un pavillon étroit et directif (comme
le pavillon Bach #37), ou la dispersion dans la salle avec un pavillon
plus large et évasé (comme les pavillons Bach #43 ou
#72). La différence est accentuée par le fait qu'avec un
pavillon large le trompettiste aura l'impression de jouer plus fort
qu'avec un pavillon étroit, alors que l'auditeur placé en
face aura une perception inverse.
Il faut apprendre à "projeter" le son pour minimiser la fatigue des lèvres.
L'oreille humaine est particulièrement sensible aux
fréquences situées autour de 3000Hz. De plus, comme ces
fréquences véhiculent l'essentiel de l'information
contenue dans la parole, le cerveau focalise automatiquement son
attention sur un son riche en harmoniques voisines, qui donnent au son
de la "présence". Il faut donc apprendre à enrichir le
son de ces harmoniques car cela permet de jouer moins fort tout en
étant mieux perçu par les auditeurs, et on peut ainsi
jouer plus longtemps avant de ressentir la fatigue. Une bonne
projection du son s'obtient en jouant avec les lèvres pas trop
écartées, avec peu d'appui sur l'embouchure, beaucoup de
poussée des muscles de la ceinture, et en cherchant à
"centrer" la note sur la hauteur qui excite le maximum de
résonances de l'instrument.
Le son "cuivré" est produit par la présence
d'ondes de choc, et ne dépend que de la forme générale
de la trompette utilisée.
Joël Gilbert et autres ont montré en 1995 que le son cuivré
résulte de la création d'ondes de choc dans la partie cylindrique du corps de l'instrument, qui se propagent
dans l'instrument. Une thèse
de doctorat
de l'université de Pennsylvanie a mis en évidence ces
ondes de choc à la sortie du pavillon. Plus l'instrument est
conique, plus l'onde décroît rapidement aux hautes
fréquences : il est pratiquement impossible d'obtenir des ondes
de choc, donc un son cuivré, avec un bugle, qui est presque
entièrement conique. Inversement, la trompette naturelle, qui a
une très longue partie cylindrique, donne un son cuivré
à un niveau sonore bien plus faible que la trompette à
pistons : c'est pour cette raison que Nikolaus Harnoncourt a
exigé des trompettes naturelles pour enregistrer les symphonies
de Beethoven en 1991 avec l'Orchestre de Chambre d'Europe, alors que le
reste de l'orchestre jouait sur instruments modernes.
Conclusions : si vous n'obtenez pas le son dont vous rêvez, ne vous précipitez pas tout de suite pour changer de trompette :
• jouez "centré" pour bien développer les
harmoniques : le son porte plus loin et c'est moins fatigant que
d'augmenter le souffle pour se faire entendre ; évitez de forcer
une vibration décalée par rapport à la
résonance naturelle de l'instrument, sauf si c'est indispensable
pour la justesse de cette note.
• travaillez
votre colonne d'air et utilisez une embouchure adaptée au type de musique que vous jouez ! Dépenser une fortune dans un instrument à pavillon
en argent massif pour avoir un son plus sombre tout en continuant à jouer sur une embouchure très
relevée est tout simplement stupide.
La photo en haut à droite montre Louis Armstrong dans les années
1930 avec sa trompette Henri Selmer (Paris) modèle "balanced action"
dont les pistons sont placés plus loin de l'embouchure. Cette trompette
lui fut offerte en 1932 par l'importateur à New York, et il resta fidèle
à ce modèle jusqu'à la fin, en ayant commandé à
Selmer au moins cinq exemplaires au cours de sa carrière. Une série
de ces trompettes porte la signature "Louis Armstrong", et ces rares
trompettes sont recherchées par les collectionneurs ...
Harry James jouait aussi sur une trompette de ce modèle, mais à
perce large, alors que Armstrong utilisait une perce étroite.