Proceedings of The Institute of Acoustics Vol.8 Part 1 (1986) - Original version in English

Effet acoustique des matériaux dans la facture des cuivres : une revue critique des études.

Richard Smith

Richard Smith (Musical Instruments Ltd), 110 The Vale, London, N14 6AY

Introduction.
Les opinions sur la contribution des parois à la qualité musicale des instruments à vent sont diverses et ne sont certainement pas en nombre insuffisant. Elles vont de celle du scientifique conservateur qui refuse d'envisager que les parois puissent avoir un effet quelconque, à celle du musicien mal orienté qui propose des théories pseudo-scientifiques sur la production du son. Les facteurs d'instrument aimeraient croire, pour des raisons financières, que les matériaux n'ont absolument aucun effet, mais pour gagner des instrumentistes et des clients pour leurs produits, ils doivent partager leurs vues.

Plusieurs examens critiques des publications des facteurs d'instruments{1, 2}suggèrent que les facteurs de cuivres en particulier montrent clairement qu'ils croient que le matériau donne certaines qualités musicales à leurs instruments. Peu importe que cette théorie ait été lancée par le fabricant ou l'instrumentiste, mais nous avons maintenant des sociétés qui se font concurrence en mettant en avant les propriétés acoustiques de leurs matériaux supérieurs et exclusifs. Ceci rejoint d'une certaine manière la composante "organique" imprévisible que les joueurs d'instruments à cordes, et jusqu'à un certain point les bois, adorent et qui leur permet de revendiquer des caractéristiques uniques pour leur instrument personnel. Avec des méthodes améliorées de production et d'essai toute variabilité ou unicité est perdue.

Recherches.
Cet article passe en revue les recherches entreprises (dont une partie jusqu'à présent non publiée) pour déterminer l'influence des matériaux sur les propriétés musicales des cuivres. La plupart des travaux portent sur les propriétés vibratoires des pavillons de trombone (choisis pour leur grande surface vibratoire libre) et dans plusieurs cas, le même ensemble de pavillons expérimentaux a subi une série de différents essais.
Plusieurs paramètres peuvent être appropriés aux études de vibration de pavillon, incluant :
a) Épaisseur de paroi
b) Matériau (composition chimique)
c) Positions des entretoises de fixation
d) Diamètre du bord
e) Finition (par exemple argenté ou verni)
f) Méthode de fabrication (d'une seule pièce / avec une seule soudure / martelé à la main)
Il est raisonnable de supposer que si le matériau est épais, l'effet de la plupart des autres paramètres sera négligeable. Par conséquent les travaux récents tendent à se concentrer sur l'effet d'une variation de l'épaisseur de paroi. La présentation de pavillons d'épaisseurs différentes aux instrumentistes soulève deux autres problèmes qui sont souvent négligés par les expérimentateurs :
1. Poids et équilibre. Les instrumentistes sont étonnamment sensibles à la variation de poids et d'équilibre provoquée par un petit changement d'épaisseur du pavillon. Dans les expériences réalisées par Smith {3}, tous les pavillons interchangeable de diverses épaisseurs avaient leur propre compensateur pour avoir des poids et des centres de gravité identiques. Dans de telles conditions les instrumentistes ne pouvaient pas détecter des différences dues au poids ou à l'équilibre. Sans cette compensation les instruments ont été aisément identifiés.
2. Formes de perce identiques. Blaikley {4}, se référant à ses expériences avec des pavillons en papier et en métal {5}, déclare que " le matériau a peu d'influence par rapport à la forme." Backus {6}, par exemple, se rendait également bien compte de l'importance d'utiliser des pavillons de profil de perce identique pour comparer les matériaux. Toutefois, d'autres rapports d'expériences ne donnent pas au lecteur la garantie que les perces étaient identiques. L'expérience de l'auteur (et d'autres concepteurs) suggère que les pavillons (et autre parties étirées et tournées) d'épaisseurs de paroi différentes ne conservent pas les mêmes dimensions internes une fois enlevés de la forme ou du mandrin. Les mesures sur des pavillons de trompette, par exemple, montrent une augmentation de 0,15 millimètre de diamètre pour les pavillons minces (parois de 0,3 millimètre) par rapport aux pavillons épais (parois de 0,6 millimètre). Cette variation peut avoir un effet significatif sur les caractéristiques musicales de l'instrument, et explique en partie pourquoi les fabricants échouent souvent à copier les instruments de leurs concurrents. En outre, les matériaux des différents constituants vont renforcer cette erreur.

Propriétés vibratoires des pavillons des cuivres.
Il n'y a aucun doute qu'un instrumentiste peut sentir son instrument vibrer dans ses mains en plus de l'interaction dynamique avec ses lèvres, et il a donc de bonnes raisons de supposer que le matériau contribue à la qualité musicale de son instrument.
Les vibrations des parois peuvent interagir avec l'onde stationnaire de la colonne d'air, absorber l'énergie interne et émettre un son avec leurs surfaces externes. Si elles résonnent à des fréquences particulières (par exemple les fréquences harmoniques de la colonne d'air) l'effet sera-t-il constructif, nuisible ou insignifiant ? L'examen suivant des expériences récentes espère apporter une réponse.

Ando {7} rend compte de la façon dont le matériau affecte la qualité de son en présentant les résultats de Murakami et Kato. La figure l montre les divers endroits où la vibration a été mesurée le long d'un pavillon de trombone.


Fig. 1 Vibrations latérales d'un pavillon de trombone (Ando 1971)





Fig. 2 Structure des vibrations transversales à 20 cm du bord

Il s'avère que seule une mesure latérale a été faite (le long de la surface supérieure) et elle indique une vibration nulle au bord du pavillon, comme s'il était fixé comme point nodal. Contrairement à la vue en coupe mesurée à 20 centimètres du bord (Fig.2), ceci ne correspond pas aux résultats des autres auteurs. Il conclut que le matériau n'a aucun effet important en ce qui concerne la structure harmonique, bien qu’il ait relevé un écart de 1 dB en le rempaçant par un pavillon plus rigide.

Smith {3} a construit un ensemble de six pavillons de trombone semblables en laiton en utilisant des matériaux de trois épaisseurs différentes. Chacun des pavillons pouvait être adapté alternativement sur un corps de trombone qui a été couplé à un excitateur acoustique artificiel. Des interferogrammes moyennés dans le temps ont été produits pour un grand nombre de résonances du matériau, et des analyses complémentaires ont montré une relation mathématique entre les amplitudes de vibration des pavillons d'épaisseurs différentes {8}. Les résonances les plus fortes ont été trouvées à environ 240 hertz avec une amplitude considérablement réduite pour les pavillons les plus épais (Fig.3). Ces résultats ont été confirmés par d'autres techniques (Kitchen, Watkinson et Richardson) en utilisant le même ensemble de pavillons.

   
Fig. 3 Fig. 3 Reconstitution holographique des vibrations du pavillon avec excitation de la colonne d'air à environ 240Hz.
A gauche : épaisseur de paroi de 0,3mm, à droite : épaisseur de paroi de 0,4mm (Smith 1978)

Watkinson {2} a utilisé une méthode d'éléments finis pour prévoir les formes de vibration des six pavillons. Bien que certaines des données d'entrée soient estimées grossièrement, il confirme l’existence d’un mode vibratoire fortement excité à environ 250 hertz pour le pavillon moyen et un mode plus faible et moins cohérent à une fréquence supérieure (500 - 700 hertz). Tandis que Kitchen {9} confirme l’existence des modes inférieurs en utilisant une technique de velocimétrie à laser Doppler, il trouve une résonance plus forte autour de 450 hertz. Comme prévu, les modes des pavillons les plus épais ont des fréquences plus élevées que ceux des plus minces.
Un autre test par holographie de Richardson {10} montre que les modes structurels par excitation directe sont très proches en fréquences de ceux mesurés par d'autres techniques. Quand on les excitait acoustiquement, les pavillons minces présentaient un mode structurel (2, 1½) proche de la 4ème harmonique de la colonne d'air. En changeant la longueur du tube de coulisse la résonance structurelle était plus facilement excitée quand le mode de la colonne d'air coïncidait en fréquence avec cette résonance, mais il n'y a aucune évidence d’un couplage fort qui, s’il était constitué, causerait un dédoublement de mode.

Propriétés acoustiques des pavillons des cuivres.
Connaissant les fréquences des modes structurels, on sait dans quelle bande de fréquences le spectre acoustique pourrait être influencé. L'utilisation d'un instrumentiste humain comme source des mesures acoustiques et vibratoires s’est révélée non satisfaisante en raison de la faible reproductibilité des résultats, et par conséquent Smith {12} a utilisé la “sirène” développée par Wogram {11} pour produire les spectres en régime stabilisé pour les six pavillons étudiés. Il a enregistré puis analysé le son dans l'axe du pavillon et à l’emplacement de l'oreille de l’instrumentiste (par l'intermédiaire d'une tête artificielle). Des trois notes enregistrées (Sib1 58 hertz, Sib2 116 hertz et Fa4 349 hertz), seules deux harmoniques ont été sensiblement affectées :
a) la 4ème harmonique de Sib1 (c.-à-d. à 232 hertz) et
b) la 2ème harmonique de Sib2 (c.-à-d. à 232 hertz)
Dans les deux cas, la fréquence de l’harmonique est proche d’une résonance structurelle. Ces deux résultats et deux autres sur des harmoniques non affectées sont présentés sur la figure 4.


a) 4ème harmonique du Sib1

b) 2ème harmonique du Sib2

c) 5ème harmonique du Sib1

d) 1ère harmonique du Sib1

Fig. 4 Comparaison d'harmoniques particulières à l'emplacement de l'oreille et devant le pavillon

Tests subjectifs des pavillons.
La différence de spectre entre l’emplacement de l'oreille et du pavillon représente une augmentation d’environ 2 dB pour une harmonique particulière pour les pavillons les plus minces. Ayant pris la précaution d'égaliser le poids et l'équilibre des pavillons, dix des meilleurs trombonistes ont passé un test en double aveugle {13}, dans lequel les instruments étaient présentés dans un ordre aléatoire (mais le même ordre pour tous les musiciens), afin d'établir s'ils pouvaient distinguer les six pavillons. Les résultats statistiques ont montré que la différence entre les pavillons minces et épais était si petite qu'elle ne pouvait être détectée par aucun de ces instrumentistes. Par la suite, on a ajouté dans la séquence de test un pavillon en cuivre pur electroformé (fait sur un mandrin semblable - mais pas le même). Dans les conditions du test il n'apparaissait pas sensiblement différent des pavillons en laiton mais une fois joué ensuite dans des essais non-aveugles, il gagnait des propriétés magiques !
Ces résultats montrent que l'épaisseur du pavillon affecte réellement et de façon significative le spectre sonore mesuré à la position de l'oreille de l'instrumentiste en raison d'un certain rayonnement sonore du matériau lui-même. Mais dans des conditions de test rigoureuses les instrumentistes semblent incapables de distinguer entre les matériaux épais et mince.

Références :
{1} G. G. Fladmoe, Ed.D. Thesis, University of Illinois (1975).
{2} P. S. Watkinson, Ph.D.Thesis, University of Surrey (1981).
{3} R. A. Smith, Unpublished Report, Boosey & Havkes Ltd. (1977).
{4} D. J. Blaikley, Metronome, 35(1) 41-56 (1919).
{5} D. J. Blaikley, Workshop Notes (1874).
{6} J. Backus, The Acoustical Foundations of Music (London: Murray)(1970).
{7} Y. Ando, The Acoustics of Musical Instruments (en japonais) (1971).
{8} R. A. Smith, J. Int. Trumpet Guild 3, 27-9 (1978).
{9} N. Kitchen, Final Year Undergraduate dissertation, I.S.V.R. (1980).
{10} B. E. Richardson, Unpublished Report, University College, Cardiff (1981).
{11} K. Wogram, Instrumentenbau 5, 414-418 (1976).
{12} R. A. Smith, Proceedings of the Institute of Acoustics (4E1)(1981).
{13} R. L. Pratt and J. M. Bowsher, JSV 57, 425-435 (1978).

Traduit en janvier 2004 par Joël Eymard pour le site web "Tout sur la trompette"