Version originale en anglais
Développements récents dans la conception des trompettes

Dr. Richard A. Smith

Article publié dans le ITG Journal d'octobre 1978

A en juger par la quantité et la qualité de l'information technique diffusée par les fabricants de trompettes, on peut aisément supposer que leurs instruments sont encore développés par une forme de sélection naturelle où un instrument construit aujourd'hui est conçu d’après ce qui est jugé être l'instrument le plus réussi construit hier, dans l'espoir que les meilleures qualités du premier instrument seront reproduites dans sa descendance.
Les catalogues des fabricants ne sont pas vraiment utiles avec leur description qualitative ; ils abondent de jargon pseudo-scientifique, reflétant vraisemblablement l'idée que se font les fabricants des besoins du marché.

Cependant, il est encourageant que quelques fabricants, Renold Schilke et Boosey et Hawkes, par exemple, donnent certaines indications sur leurs méthodes de conception dans leurs publications dans l'espoir que l'information essentielle de conception ne disparaisse pas avec l'habile artisan.
Schilke et Boosey et Hawkes (Smith, R.A. et Daniell, G.J., Nature 262, p. 761-765, 1976.) ont développé des techniques permettant d’améliorer la justesse d'une trompette. Tous deux se sont basés sur le travail original attribué à Mahillon (Belgique) et à Blaikley (Angleterre) vers la fin du 19ème siècle, qui ont constaté que de petits changements de section de perce près d'un noeud de pression (zéro) ou d’un ventre (maximum) de l’onde stationnaire changeait la fréquence de résonance. (Une réduction de la section du tube à un ventre de pression produit une augmentation de la fréquence de résonance correspondante et une augmentation de section diminue la fréquence. À un noeud de pression les effets sont inversés.)

Pour pouvoir faire ces corrections il est nécessaire de connaître la position précise sur la longueur de l'instrument des noeuds et des ventres pour chaque note (et ses harmoniques). Des mesures internes de pression exigent de jouer une note sans interruption, aussi divers types de MIPS autorégulés ou générateurs de sons ont été conçus. Ma conception particulière est présentée à la figure 1 et a l'avantage supplémentaire d’une boucle de rétroaction automatique, de sorte qu'elle se comporte comme des lèvres d'un instrumentiste. En d'autres termes, si la longueur de tube est changée en déplaçant la coulisse d'accord ou en enfonçant un piston, les lèvres suivront automatiquement la résonance de l'instrument. Un ensemble de résonances est l'empreinte digitale d'un instrument à vent ; il détermine ses qualités musicales telles que la justesse et la qualité de son et sera différent pour chaque instrument, même ceux construit en un même groupe. Par conséquent, il n'est pas étonnant que les instrumentistes les plus avertis puissent trouver des différences entre des instruments prétendument identiques.

Quand un instrumentiste joue une note simple, il produit un son contenant une série d'harmoniques dont les fréquences sont exactement dans des rapports entiers. Malheureusement, ceci est souvent compris comme si les résonances de l'instrument (ou les notes « à vide », incorrectement appelées série harmonique) étaient pareillement réparties. Il ne peut en être ainsi, car a) leur irrégularité est la cause des petites mais importantes différences entre instruments, comme on vient de le voir, et b) les acousticiens peuvent les déplacer pour apporter des améliorations. Il faudrait ajouter qu'un compromis doit être trouvé et qu’aucun arrangement des résonances de l'instrument ne produira l'instrument parfait.

L’appareil automatique a aidé à développer le meilleur compromis pour les positions des résonances qui améliorent la justesse et la qualité de son. Au départ, on a permis à l'appareil de localiser et exciter la deuxième résonance (le Sib3 grave) tandis qu'un microphone-sonde était enfilé dans la perce. La réponse de pression mesurée par le microphone a pu alors être tracée graphiquement.



Figure 1
- L'équipement utilisé pour localiser automatiquement et suivre les résonances d'un instrument à vent.
Une variation de la longueur de coulisse, de la position des pistons, ou même de la température se traduira par un changement de hauteur sur l’afficheur.




Figure 2 - L’onde stationnaire de pression du 2ème au 10ème modes d'une trompette comparée à sa forme physique. (Smith-Daniell / Nature).

La figure 2 montre la distribution de pression (pour les 2ème à 10ème résonances) mesurée sur la longueur d’une trompette en Sib « à vide » (c’est à dire sans appuyer de piston, NdT). D'un graphique composé comme celui-ci, on peut aisément déduire quelques faits intéressants.

D'abord, le niveau des pressions dépend du diamètre de perce ; par conséquent la région de l'embouchure et de la branche d'embouchure est bien plus sensible aux changements de perce que la région du pavillon. Ceci souligne également l'importance d'avoir une queue d'embouchure bien adaptée au reste de l'instrument.

Deuxièmement, ce diagramme montre seulement neuf des ondes de pression pour la clarté. En réalité, si les diagrammes de toutes les notes et harmoniques employées par l'instrumentiste étaient superposés sur cette figure, l'image deviendrait très embrouillée avec bien plus de 800 positions nodales le long de la perce de la trompette ! Par conséquent, si les théories de Mahillon et de Blaikley devaient être appliquées directement à une partie particulière de la perce pour la correction d'une seule résonance, il est évident que plusieurs autres résonances seraient affectées à un degré plus ou moins grand.

Pour résoudre ce problème, Schilke fait un compromis approximatif en introduisant quatorze changements de perce abrupts (vus comme des anneaux) à l'intérieur de ses branches d'embouchure. Cependant, la technique développée par le Dr. Daniell et moi-même a l'avantage supplémentaire qu'elle emploie des techniques numériques pour produire la perce la plus lisse correspondant au changement exigé de la fréquence de résonance. L'utilisation d'un ordinateur signifie qu'il n'y a pratiquement aucune limite au nombre de résonances qui peuvent être changées ou maintenues intactes à volonté.

Les corrections de perce se font traditionnellement dans la région de la branche d'embouchure, en partie parce qu'il est bien plus facile et meilleur marché de produire des mandrins expérimentaux de branche d'embouchure que des mandrins de pavillon. Notre technique peut être appliquée à n'importe quelle section (ou sections) de l'instrument et les données peuvent être converties en mandrins à l'aide de tours à commande numérique.
Des essais antérieurs avec des variations de perce ont apporté l'amélioration de justesse exigée mais quelques notes souffraient d’une faible qualité de son et d’une mauvaise réponse. Une étude de leur spectre tonal a montré un changement de l'équilibre harmonique dû à ces perturbations, et nous avons constaté que les résonances qui soutiennent les harmoniques les plus hautes étaient devenues fausses par inadvertance. En étendant notre gamme de fréquence nous avons pu prendre en compte les résonances les plus élevées.

La technique que nous venons de décrire est employée pour apporter des modifications à la structure des résonances d'un instrument existant, et n'est pas prévue pour la conception globale d'un instrument. Les fréquences de résonance et la forme de perce devraient être connues, bien qu’une grande précision ne soit pas nécessaire car les données dont nous disposons sur la perce d’une trompette ont été extrapolées avec succès pour apporter des améliorations à un trombone basse (Pratt, R.L. Bowsher, J.M., Smith, R.A. Nature 271, p. 146-147, 1978).

Plus récemment, j'ai été concerné par le développement de la trompette Sovereign Studio avec l'aide de Derek Watkins, un des meilleurs musiciens de studio. Un premier prototype dérivé de la trompette Sovereign Symphony a montré un défaut de justesse sur le Sol suraigu (Sol8 à 1568Hz). Cette note mobilise la 13ème résonance qui n'est pas normalement utilisée dans le répertoire symphonique. (Étant un nombre premier, cette résonance ne peut même pas être mobilisée pour soutenir les harmoniques d'une note plus basse.) Dans ce cas-ci aucun calcul important n'a été nécessaire car la position des noeuds a suggéré que le trou de la clé d’eau pouvait introduire une perturbation non désirée ou mal placée. La solution consistait à combler le trou ou à le déplacer de 7 mm vers une position plus appropriée. Depuis ce jour, les clés d’eau ont été traités avec plus de considération qu’un simple drain !

Le matériau.

On ne peut donner ici qu’une brève discussion de la question très controversée de l'influence du matériau de paroi sur la couleur de son et autres qualités de jeu. Essentiellement, un scientifique ne sera jamais capable de produire une preuve suffisante pour convaincre un instrumentiste qu’il a tort, qu'il soit pour ou contre. Superficiellement, la littérature montre un désaccord parmi les chercheurs, mais ceci peut être attribué à l'utilisation d’instruments et de procédures différents.
On a entendu des revendications tonitruantes sur les propriétés acoustiques de divers alliages, particulièrement les plus coûteux ! Les essais que j'ai effectués montrent qu'un panel d’instrumentistes et d’auditeurs expérimentés ne peut pas distinguer une trompette avec pavillon en fibre de verre d’une autre avec pavillon en laiton (de 0,5 mm d’épaisseur et de mêmes dimensions internes), mais si ce pavillon de fibre de verre est comparé à un pavillon en laiton plus mince (par exemple 0,3 mm) la différence est tout à fait apparente. Il apparaît également, en accord avec Wogram (Das Musikinstrument, p. 1193-1194, septembre 1977, et Instrumentenbau, p. 414-418, mai 1976), que la composition chimique du pavillon est bien moins importante que son épaisseur, et à mon avis l'effet de la composition (et de tout traitement thermique) n’a d’influence qu’avec des parois minces.
En testant un trombone ténor avec son répertoire symphonique, Wogram a conclu que « les pavillons à parois extrêmement minces s'avèrent offrir les plus mauvaises caractéristiques de réponse. » Ceci, naturellement, n'infirme pas nécessairement les commentaires des instrumentistes concernant des trompettes ou des trombones utilisés avec d'autres musiques.
Comme beaucoup de musiciens de studio et de variétés m'ont demandé de faire des pavillons plus minces, il m’a semblé qu'il devait y avoir une bonne raison à cette demande. En utilisant une technique holographique (avec des lasers) au Laboratoire National de Physique, j’ai pu observer les vibrations pour des pavillons de diverses épaisseurs. La figure 3 montre un exemple de vibration de deux pavillons, de 0,3 mm et 0,4 mm d’épaisseur.

  

Figure 3
— Reconstitution holographique des vibrations du pavillon.
A gauche : épaisseur de paroi de 0,3 mm approximativement. A droite : épaisseur de paroi de 0,4 mm approximativement. (Copyright Crown, N.P.L)

Le nombre d'anneaux (ou de lignes) indique le degré de vibration. Quand plusieurs pavillons de différentes épaisseurs sont mesurés, il est possible de tracer un graphique (Figure 4) prouvant que la quantité de vibration augmente rapidement avec seulement un petit changement d'épaisseur. (les calculs sont conformes à cette courbe, où la vibration est inversement proportionnelle à la quatrième puissance de l'épaisseur du matériau.).


Figure 4 - Augmentation rapide de la vibration des parois avec la diminution de leur épaisseur

Du point de vue du jeu, cette vibration du matériau semble accentuer les fréquences les plus élevées et améliorer la réponse dans le registre supérieur. Nous avons entrepris des recherches complémentaires pour mieux comprendre ce phénomène.

Pour finir, quelques mots sur la construction, car l'ergonomie de la trompette est aux premiers rangs des exigences des instrumentistes. En se rendant compte que plusieurs de nos clients maintiennent leurs instruments sur les lèvres pendant de longues périodes, le poids a été considéré comme un facteur très important. À 940 grammes, nos instruments sont parmi les trompettes en Si bémol les plus légères actuellement disponibles sur le marché. Deuxièmement, la distribution du poids est tout aussi importante, aussi l'équilibre a été soigneusement ajusté. Un grand soin a été également pris dans le positionnement des anneaux, le centrage des piston et l'action mécanique. Des petits détails peut-être, mais tous destinés à aider l'instrumentiste à oublier son instrument et à se concentrer sur la production d’une belle musique.

L'auteur de cet article, le Dr. Richard Smith a des diplômes de recherche dans la conception acoustique des instruments bois et cuivres, et a été pendant 12 ans le concepteur en chef chez Boosey et Hawkes Ltd. Avec sa propre entreprise à Londres, il applique maintenant cette large expérience à la conception des cuivres pour différents instrumentistes. Le Dr. Smith est également un musicien compétent et joue régulièrement du contrebasson à Londres.

Richard Smith (Musical Instruments) Ltd 110 The Vale London N14 6AY


Traduit en janvier 2004 par Joël Eymard pour le site web "Tout sur la trompette"