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La trompette baroque

Portons maintenant notre attention sur un exemple de la forme ancienne sans pistons de la trompette, en considérant une trompette en Ré baroque "modèle Tarr" fabriquée par Meinl et Lauber. La figure 10 montre la courbe usuelle d'impédance d'entrée de cet instrument quand il est joué avec le trou d'accord fermé.

Figure 10
Figure 10 : Impédance d'une trompette baroque

Une comparaison avec la Figure 7 montre que la forme générale des courbes de résonance est tout à fait semblable pour la trompette en Ré baroque et pour l'instrument moderne en Sib. Les pics de résonance sont, cependant, plus rapprochés le long de l'axe de fréquence pour la trompette en Ré, simplement à cause de sa longueur plus grande. Pour faciliter la comparaison du comportement musical des deux instruments, commençons par considérer le régime d'oscillation qui produit le La3 de la trompette en Ré (à 220 Hz dans l'accord moderne). Ce n'est qu'un demi-ton au dessus de la note écrite Ut4 pour l'instrument en Sib, si bien que la tension de lèvre et la réponse en fréquence de nos oreilles sont approximativement les mêmes. Quand on joue fort sur la trompette en Ré, la note La3 est soutenue par la coopération des pics d'impédance 3, 6, 9 et 12, avec un peu d'aide du pic 15. Tout cela se voit sur la figure 10. Le fait que les pics de résonance successifs de fréquence croissante soient de plus en plus haut signifie qu'ils conservent leur influence à un niveau sonore plus bas que ce n'est le cas pour leurs cousins (pics 2, 4, 6 et 8) sur la trompette en Sib moderne. Ce seul facteur rend le La3 de l'instrument baroque plus stable que le "Ut4" de l'instrument moderne.

La suivante dans la série harmonique des notes disponibles pour le musicien baroque est la note Ré4, qui est soutenue par un régime vibratoire basé sur les pics de résonance 4, 8 et 12, avec un peu d'aide du pic numéro 16. De nouveau nous avons une note stable impliquant la coopération de plusieurs résonances de la colonne d'air. Le lecteur en sait maintenant assez sur la dynamique du timbre de la trompette pour trouver lui-même les implications de la courbe de résonance pour d'autres notes de la série, utilisant la figure 11 pour savoir quelles résonances collaborent pour produire les diverses notes.

Figure 11
Figure 11 : Les résonances mises en jeu pour différentes notes

Nous notons qu'au-dessus du Mi5 il n'y a pratiquement aucune collaboration. Nous notons aussi que dans cette figure le numéro de la note est le même que son numéro d'ordre dans la série harmonique du musicien. La septième note dans cette série, que l'on ne considère pas habituellement comme faisant partie de la gamme, est une note assez bien soutenue basée sur les pics 7 et 14. Le pic 14 est placé à une fréquence légèrement inférieure au double de celle du pic 7. Quand on joue doucement (pour que le pic 7 domine le régime), la note sort le plus naturellement de notre instrument comme un Ut5 légèrement bas. Mais si on augmente progressivement le niveau sonore, la note baisse jusqu'à un Si4 légèrement haut, au fur et à mesure que l'influence du pic 14 grandit. En bref, nous avons ici une note légèrement instable qui peut être montée ou baissée par le musicien pour s'adapter partiellement aux exigences musicales requises pour les notes Si4 ou Ut5. La suivante dans la série des notes disponibles est le Ré5. C'est la note la plus haute dans la gamme de la trompette Baroque pour laquelle on a des effets coopératifs détectables des résonances suivantes de la colonne d'air. Le pic 8 détermine la vibration dans le jeu piano et le son a tendance à baisser un peu dans un crescendo parce que le pic16 a là aussi une fréquence légèrement inférieure au double de celle du pic 8.

La trompette baroque en Ré "Modèle Tarr" est munie d'un trou d'accord placé à la jonction entre le pavillon et le tube cylindrique principal. Ce trou permet une augmentation considérable du nombre de notes jouables, en utilisant des moyens acoustiques qui ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de la trompette sans trou, ni non plus que ceux associés aux changements de note sur un bois. Autrement dit, il ne faut pas croire que le trou agit comme une simple interruption de la colonne d'air à sa position. Nous avons affaire à une colonne d'air tripartite, le tube principal, le trou d'accord et le pavillon. Pour le son, nous restons proches de la trompette normale en ce que le son vient principalement du pavillon, et il est donc émis d'une façon tout à fait semblable à celle qui caractérise les notes normales. La figure 12 montre la courbe de résonance mesurée pour notre trompette quand son trou est laissé ouvert.

Figure 12
Figure 12 : Courbe d'impédance de la trompette baroque quand le trou est laissé ouvert

A première vue, la courbe parait très semblable à celle de l'instrument avec le trou fermé présenté à la Fig. 10. Un examen plus attentif révèle, cependant, que les pics de résonance sont plus espacés le long de l'axe des fréquence et aussi que la colonne d'air composite provoque une forme plus complexe pour certains des pics, avec de petits pics secondaires et des épaulements à certains endroits.

Examinons les propriétés acoustiques de plusieurs des notes qui peuvent être jouées avec le trou débouché, en commençant par la note basée sur le pic 3. C'est une note instable et peu claire proche de l'Ut4 quand elle est jouée pianissimo. Jouer plus fort la fait descendre au Si4, à cause de l'influence du pic 5 sur le second partiel de la note et du pic 7 sur le troisième partiel. Nous voyons qu'il est aussi possible de monter la note jusqu'au Ut4#, quand les pics 6 et 8 ont supplanté les pics 5 et 7 pour influencer les deuxièmes et troisièmes ingrédients de la recette vibratoire.

La note suivante dans la série est un Fa4# légèrement haut basé sur le pic 4 quand on joue doucement, montant au Sol4 quand la note est jouée assez fort pour que les pics 8 et 12 commencent à manifester leur influence. Au-dessus nous trouvons un La4# clairement défini basé sur le pic 5. Bien que le pic 10 soit placé très haut par rapport à deux fois la fréquence du pic 5, il n'arrive pas à monter la note dans le crescendo à cause de la présence d'un petit renflement sur son côté gauche. Ce renflement est situé à l'endroit exact qui permet une bonne coopération avec le pic 5, et donc la note est tout à fait stable.

Le pic 6 de la série de résonances avec trou ouvert donne un Ut5# légèrement voilé qui a une hauteur stable dans le crescendo, mais sans aucun effet coopératif des pics de résonance placés plus hauts en fréquence ; le second partiel de la note tombe sur le creux entre les pics 11 et 12, de sorte qu'il y a en réalité une certaine dose d'anti-coopération.

La note suivante de notre série est le Ré5. Elle n'est pas basée sur le pic 7, mais est plutôt une "note factice" dont la fréquence se trouve entre celles de pics 6 et 7. L'énergie vibratoire est produite principalement par l'influence du pic 12 sur le deuxième partiel de la note jouée, avec un petit apport d'énergie venant du fondamental du fait qu'il utilise le renflement qui se trouve sur le flanc droit du pic 6. Il sera commode d'étiqueter cette note privilégiée comme 6-bis plutôt que 7 dans la séquence, pour souligner son statut spécial.

Nous conclurons notre passage en revue de la dynamique des vibrations des notes jouables avec le trou ouvert en remarquant que la septième dans l'ordre normal est ici la note Fa5, basée sur le pic 7 avec l'aide du pic 14, qui la tire un peu vers le haut dans le crescendo. Les notes 8 et au dessus sortent sans l'aide des pics de résonance supérieurs et n'ont pas besoin d'autre commentaire ici.

L'acoustique de la trompette
Notions préliminaires d'acoustique
La "trompette d'eau", un analogue à ce qui se passe à l'intérieur d'une trompette
La fonction des lèvres du musicien
La fonction du tuyau et du pavillon - A l'intérieur de la colonne d'air
La coopération requise pour un résultat musical
La trompette baroque
Le spectre interne de la trompette moderne
Le spectre interne de la trompette baroque
Relation entre le spectre interne et le timbre perçu
La trompette de Menke
Le problème d'une attaque propre
Mahillon revisité
Conclusion
Notes bibliographiques