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La Fonction du tuyau et du pavillon - A l'intérieur de la Colonne d'air

La colonne d'air plus ou moins conique de la trompette est l'autre partenaire dans la collaboration qui produit un son musical. L'histoire de notre compréhension des ondes dans les conduits de section croissante (ou "pavillons" comme les appellent habituellement les acousticiens) est longue et plutôt particulière en ce que à plusieurs reprises des connaissances de base acquises à une époque ont été perdues, puis redécouvertes ultérieurement. D'autre part, quand on regarde l'histoire de la physique, on est frappé par la place prépondérante qui a été dès l'origine occupée par l'acoustique musicale. En fait c'était une des sources importantes d'information sur la nature du monde physique et une source principale de stimulation intellectuelle.

Du vivant de Bach, les principes de base de la physique théorique se sont inspirés de quatre sujets d'étude : les mouvements des planètes, la transmission de la chaleur, l'écoulement des liquides et, en dernier mais en aucun cas le moindre, la vibration des cordes musicales et des colonnes d'air. Dès les années 1760, Bernoulli, Euler et Lagrange ont réussi à formuler l'équation de base qui nous permet de prédire le comportement des ondes sonores dans des tuyaux de section variable. Ces premiers théoriciens ont discuté le comportement du son non seulement dans des cylindres et des cônes, mais même dans la famille des soi-disant pavillons de Bessel, auxquels nous savons maintenant que les trompettes sont étroitement apparentés. C'est par une bizarrerie curieuse de l'histoire que cette famille de pavillons a pris le nom d'un astronome allemand du 19ème siècle, simplement parce que certaines parties de la description mathématique de l'acoustique des pavillons de Bessel est basée sur des résultats mathématiques obtenus au cours de calculs purement astronomiques ! Bernoulli et ses contemporains ne se sont apparemment pas rendus compte que les instruments de musique de leur époque étaient proches de la forme de Bessel ; c'était simplement la forme suivante après le cylindre et le cône dans la hiérarchie de la complexité mathématique.

Ce travail innovateur, par des hommes dont les noms sont révérés aujourd'hui par des mathématiciens, des physiciens aussi bien que des ingénieurs, est resté méconnu pendant presque un siècle. En 1838, le distingué mathématicien anglais George Green a redécouvert les résultats précédents à l'occasion de ses études des ondes dans les canaux de largeur et de profondeur variant progressivement. Ce travail de Green fut réalisé en réponse à un problème pratique urgent, l'érosion des rives des canaux de transport de l'Angleterre par les vagues créées par les péniches et par les effets de la marée. C'est de son travail que nous avons tiré l'analogie entre la trompette réelle et la trompette d'eau qui a été décrite dans les pages précédentes.

De façon indépendante l'Allemand Pochhammer dériva l'équation en 1876 et découvrit les propriétés de ses solutions les plus importantes. En 1873 Lord Rayleigh publia un bref papier sur certains phénomènes électriques dans lequel il employa une méthode d'analyse incroyablement moderne, "la méthode des opérateurs", qu'il ressortit en 1916 quand il publia un article sophistiqué et ingénieux sur l'acoustique des tuyaux de section variable. Ce papier comprenait la dérivation de l'équation de base des pavillons comme un cas particulièrement simple. Les implications du papier de 1916 de Rayleigh se sont avérées être les plus utiles pour certains d'entre nous qui l'avons suivi. Finalement, la préhistoire aboutit à 1919 où A. G. Webster publia sa dérivation de l'équation, et apparemment le monde de la science était prêt à lui prêter attention. Depuis, les acousticiens désignent l'équation de base des pavillons comme "l'équation des pavillons de Webster," au mépris de sa vraie histoire.

Dans la période qui a suivi Webster, on a beaucoup utilisé en pratique l'acoustique des pavillons dans la conception des phonographes et des haut-parleurs, et pour beaucoup d'autres usages. L'étude de l'acoustique des pavillons a atteint sa maturité contemporaine dans les articles classiques de Vincent Salmon en 1946, dont sont issus une quantité d'études de nombreux auteurs jusqu'à notre époque. Les lecteurs souhaitant appréhender le sujet dans son ensemble doivent lire attentivement l'article détaillé et exhaustif publié en 1967 par Edward Eisner.6 C'est ce papier avec sa vaste bibliographie commentée que j'ai utilisé comme base formelle de mes remarques dans les deux précédent paragraphes.

Faisons ici une brève digression pour découvrir ce qu'est le pavillon de Bessel et sa relation avec les instruments de musique réels. La formule mathématique qui donne le diamètre D d'un pavillon en fonction de la distance y a son ouverture est

D = B/(y + y0)a

y0 et B sont choisis pour donner des diamètres appropriés aux deux extrémités, et a est un "paramètre de forme" qui détermine le comportement acoustique de la colonne d'air. Ce paramètre diffère d'un instrument à un autre, selon son embouchure et la conception du tuyau principal. Les pavillons de trompette depuis ceux qu'a construits William Bull7 au dix-septième siècle sont très proches d'un pavillon de Bessel avec des valeurs de a comprises entre 0,5 et 0,65. Il est intéressant de noter que les formes de pavillon qui ont été dessinées en associant traditionnellement une forme plaisante à l'œil avec l'expérience pratique sont largement semblables dans leur description acoustique.

Il vaut la peine de prolonger notre digression pour voir brièvement la différence entre les pavillons de haut-parleur et les pavillons d'instruments. La conception d'un pavillon de haut-parleur exige la meilleure efficacité dans rayonnement du son dans l'air depuis une source de petite taille, tandis que pour les instruments de musique nous trouvons des exigences tout à fait contraires : la forme du pavillon d'un instrument à vent en cuivre doit être conçue pour économiser l'énergie à l'intérieur du pavillon, donnant des ondes stationnaires fortement marquées à des fréquences naturelles bien définies.

En revenant maintenant au côté musical de l'acoustique des pavillons, nous constatons que Bouasse n'a pratiquement pas utilisé l'équation de Webster. Il en donne une dérivation élégante et originale et la résout pour les pavillons de Bessel et pour les pavillons exponentiels, mathématiquement plus simples, qui trouvent une certaine application dans la conception des haut-parleur. Bouasse8 laisse alors tomber l'équation et n'y fait aucune nouvelle référence. En traitant des cuivres, Bouasse s'est limité à une exposition admirablement claire de l'acoustique de ce qu'il a appelé les colonnes d'air composites "cylindro-coniques", qui ont été intensivement étudiés aussi par d'autres, avant et après lui. Du point de vue acoustique, ces colonnes d'air n'ont cependant qu'une ressemblance approximative avec celles des cuivres musicaux. Bouasse a semblé tout à fait inconscient du rôle extrêmement important joué par l'embouchure d'un cuivre dans la détermination complète des fréquences naturelles de la colonne d'air. Cela l'a empêché de résoudre beaucoup de questions importantes qu'il était cependant assez intuitif pour se poser. Nous reverrons la question des embouchures et de leur relation au reste de l'instrument à plusieurs reprises, plus tard dans ce chapitre.

Un contemporain de Bouasse, le physicien britannique E. G. Richardson, doit être mentionné dans notre compilation, principalement parce que son livre largement diffusé, The Acoustics of Orchestral Instruments,9 est à l'origine de la croyance générale que les pavillons de trompette ont une forme exponentielle. Il a aussi soutenu des concepts discutables sur le flux d'air dans les embouchures des cuivres. Il est regrettable que de telles erreurs aient entaché le travail d'un scientifique distingué qui a fait de nombreuses contributions à d'autres parties de l'acoustique musicale.

Un document intéressant touchant à l'acoustique des cuivres est un brevet d'invention extrêmement détaillé obtenu en 1958 par Earle Kent de C. G. Conn, Ltd.10 Il a obtenu un accord correct en mettant bout à bout des segments de forme "catenoïde" au lieu d'une simple forme de type Bessel. Une suite de segments de perces différentes doivent mathématiquement parlant donner des défauts de justesse à moins qu'ils ne soient compensés par des corrections locales de conicité ou de diamètre. Des exemples pratiques de toutes ces questions sont discutés à fond dans le brevet d'invention, qui décrit aussi la façon d'utiliser un ordinateur pour faciliter la conception.

Un autre contributeur actif à la science des colonnes d'air des cuivres est Frederick Young de l'Université de Carnegie Mellon. Il a publié une série d'articles importants à partir de 1960.11 Il représente les formes de colonnes d'air des cuivres réels par une cascade de segments très courts, chacun avec une conicité et une ouverture déterminée. La petitesse des segments lui permet de représenter les propriétés d'un pavillon à variation progressive de diamètre avec une précision raisonnable parce que cela évite les irrégularités mathématiques qui sont délibérément acceptées dans une conception (comme celle de Kent) basée sur le choix d'un nombre limité de segments.

En 1970 William Cardwell a obtenu un brevet d'invention pour un type particulièrement simple de conception d'instrument à vent en cuivre impliquant l'utilisation ingénieuse d'un segment unique de pavillon catenoïde, relié d'un côté à un tuyau principal cylindrique et de l'autre à un pavillon court s'évasant rapidement.12 Cette conception, qui est assez proche de celle de Kent, a été mise au point indépendamment et se révèle très pratique pour la construction d'instruments aigus en Mib et en Fa. Les deux brevets d'invention de Kent et Cardwell sont intéressants à lire parce qu'ils donnent un aperçu des problèmes pratiques de conception d'un cuivre.

En 1967-68, Erik Jansson du Speech Transmission Laboratory de l'Institut Royal de Technologie de Stockholm a travaillé avec moi à Cleveland sur une étude détaillée des colonnes d'air qui sont utilisées par les instruments de musique. Ce travail, qui était tant théorique qu'expérimental, traitait des pavillons de la trompette, du trombone et du cor d'harmonie. Nous avons découvert un certain nombre de rapports subtils entre nos expériences et nos calculs que nous n'avons pas pu clarifier immédiatement. C'est seulement récemment qu'il a été possible de préparer un rapport complet sur nos résultats.13

Une source excellente d'information sur l'acoustique des cuivres se trouve dans le texte et la bibliographie de la thèse de doctorat soutenue en 1972 par Klaus Wogram à la Technischen Universität de Braunschweig.14 Sa référence étendue à la recherche européenne, qui est, malheureusement, peu familière à beaucoup de pays anglophones dans le monde, est particulièrement intéressante.

Cela achève notre tour d'horizon des aspects historiques de l'acoustique des colonnes d'air, et nous pouvons revenir après cette digression au fil de notre discussion pour comprendre les moyens par lesquels la colonne d'air mobilise les lèvres du musicien pour produire un son.

L'acoustique de la trompette
Notions préliminaires d'acoustique
La "trompette d'eau", un analogue à ce qui se passe à l'intérieur d'une trompette
La fonction des lèvres du musicien
La fonction du tuyau et du pavillon - A l'intérieur de la colonne d'air
La coopération requise pour un résultat musical
La trompette baroque
Le spectre interne de la trompette moderne
Le spectre interne de la trompette baroque
Relation entre le spectre interne et le timbre perçu
La trompette de Menke
Le problème d'une attaque propre
Mahillon revisité
Conclusion
Notes bibliographiques