English original version
Le spectre interne de la trompette moderne

Ayant montré que les trompettes modernes et baroques produisent leurs sons en utilisant plusieurs coopérations entre des pics de résonance de leur colonne d'air, nous avons une base solide pour commencer l'analyse de la nature acoustique et musicale des sons produits. Voyons comment le timbre est influencé par la colonne d'air de la trompette. Nous devons tout d'abord distinguer clairement entre le timbre interne qui pourrait être perçu avec l'aide d'un microphone de mesure inséré dans l'embouchure et le timbre du son qui sort normalement du pavillon. Notre discussion a porté jusqu'ici sur l'interaction des ondes sonores internes avec les lèvres, et nous commencerons donc par le timbre dans l'embouchure, puis nous regarderons comment il est modifié en sortant du pavillon de l'instrument vers la salle de concert.

Parmi les points forts des recherches de Walter Worman sur la production du son par les instruments à vent, on trouve une description claire de la façon dont le timbre interne (c'est-à-dire, le niveau des divers partiels qui composent le son interne) dépend du niveau sonore émis et de la nature de la colonne d'air. Dans les instruments ayant une valve contrôlée par la pression d'air (les lèvres ou l'anche), les niveaux des harmoniques diverses produites dans un régime d'oscillation ont une relation particulièrement simple. En laissant de côté les détails quantitatifs, nous constatons que la théorie et l'expérience en laboratoire sont en accord sur la description suivante de ce son interne. Quand on joue pianissimo une note quelconque, le son interne a une forme d'onde presque purement sinusoïdale et sonne pratiquement comme un diapason si nous l'écoutons à l'aide du microphone de mesure. C'est-à-dire que le son est composé d'un fondamental à la fréquence jouée, et on ne trouve presque rien aux fréquences des partiels supérieurs harmoniquement liés. En jouant plus fort le spectre du son se développe, harmonique par harmonique, en commençant par les fréquences inférieures. Les notes produites par un régime oscillant impliquant plusieurs pics de résonance développent leur plus haut partiels assez rapidement et le son interne devient plein et riche à un niveau sonore inférieur à celui qui est nécessaire pour les notes utilisant seulement une ou deux résonances de la colonne d'air. Nous constatons aussi que le niveau d'un partiel particulier est élevé si le pic de résonance associé dans le régime d'oscillation est important et il est plus faible si le pic est moins grand.

Regardons les implications pratiques pour une trompette moderne. En 1970 une série de mesures a été faite avec l'aide de Charles Schlueter, première trompette dans l'Orchestre Symphonique de Minneapolis (en 1970 il était dans l'Orchestre de Cleveland). Schlueter a joué des diminuendos et crescendos sur un de mes instruments, une trompette en Sib, Selmer Paris, n° de série 4866. Elle était équipée de micros interne et externe, alimentant un magnétophone pour que les résultats puissent être étudiés a posteriori de différentes façons. La trompette est celle dont les courbes de résonance sont présentées dans les Figures 7, 8 et 9.

La figure 13a montre les niveaux relatifs des partiels internes pour un Ut4 écrit (voir la figure 7 pour les résonances de la colonne d'air qui participent à la génération de cette note).

Figure 13a
Figure 13a : Partiels internes d'un Ut4 écrit (Sib3)

La courbe supérieure de la figure 13a relie les points noirs qui indiquent les niveaux des onze premiers partiels produits quand la trompette est jouée fortissimo. Les familles inférieures de courbes indiquent de la même façon la force des partiels aux niveaux dynamiques inférieurs. Nous voyons clairement ici qu'en jouant plus doucement, les partiels de plus haute fréquence s'affaiblissent plus rapidement que les inférieurs. Au plus faible pianissimo qui peut être maintenu par le musicien, le son interne ne contient presque rien au-delà de son fondamental. J'aimerais souligner que ces résultats de mesure sont extrêmement fiables. Les mesures faites séparément sur un grand nombre de notes, les unes partant du mp et montant au fff et d'autres diminuant de mf à ppp, se raccordent sans discontinuité quand les courbes sont analysées et les spectres tracés sur un graphique. Les points marqués sur notre graphique par un cercle sont là pour montrer en outre que le comportement décrit ici dépend principalement de la trompette et de son embouchure et seulement accessoirement du musicien. Cette courbe particulière présente le spectre d'une note jouée à un niveau situé entre mp et p. Elle est basée sur l'analyse d'une note que j'ai moi-même jouée et enregistrée au cours de l'installation, la vérification et le calibrage de mon équipement, plusieurs jours avant que Charles Schlueter ne vienne pour les expériences officielles.

Figure 13b
Figure 13b : Partiels internes pour un Ut5

La figure 13b montre les spectres internes mesurés pour divers niveaux sonores de la note écrite Ut5. Nous remarquons que le spectre manque de force appréciable dans les harmoniques au-delà du cinquième partiel, même quand la note est jouée très fort. Toutefois, le son ne devient pas pur au niveau pianissimo.

Figure 14a
Figure 14a : Partiels internes d'un Sol5 écrit

Figure 14b
Figure 14b : Partiels internes d'un Mi6 écrit

Les figures 14a et 14b montrent des spectres semblables pour le pic du Sol5 (en haut de la portée) et du Mi6 (au dessus du contre-ut). Les spectres de ces notes plus hautes montrent l'appauvrissement progressif du timbre au fur et à mesure qu'on monte dans la gamme. Il est possible de montrer par des expériences auxiliaires, particulièrement avec des tubes cylindriques et avec des cors d'harmonie, que ces phénomènes ne sont pas tellement dûs aux limitations des lèvres du musicien, car ils résultent de la diminution du nombre et de la force des résonances qui participent aux oscillations quand on monte en fréquence (voir la Figure 7 et la Figure 8 pour les régimes d'oscillation qui déterminent ces notes).

Je dois souligner à ce stade que les spectres décrits ici ont été tracés en incluant seulement les premiers composants harmoniques du son. Il y a des composants de plus hautes fréquences qui ont un effet considérable sur le timbre global ; cependant, ils jouent un rôle beaucoup plus subtil que ceux montrés ici. On constate que le caractère de base du son de la plupart des instruments à vent est déterminé par la première demi-douzaine de composants, permettant d'identifier le style de construction de l'instrument, l'identité du musicien et souvent même le fabricant de l'instrument. Je tiens aussi à rappeler au lecteur que les spectres internes dont nous discutons jusqu'ici ne sont pas ceux qui sont perçus par nos oreilles dans la salle de concert.

L'acoustique de la trompette
Notions préliminaires d'acoustique
La "trompette d'eau", un analogue à ce qui se passe à l'intérieur d'une trompette
La fonction des lèvres du musicien
La fonction du tuyau et du pavillon - A l'intérieur de la colonne d'air
La coopération requise pour un résultat musical
La trompette baroque
Le spectre interne de la trompette moderne
Le spectre interne de la trompette baroque
Relation entre le spectre interne et le timbre perçu
La trompette de Menke
Le problème d'une attaque propre
Mahillon revisité
Conclusion
Notes bibliographiques