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Mahillon revisité

Après avoir présenté un panorama assez détaillé de notre connaissance actuelle de l'acoustique de base de la trompette, nous sommes en mesure de considérer rétrospectivement un des personnages les plus importants dans le développement des instruments à vent en cuivre au dix-neuvième-siècle, Victor Mahillon, dont le livre, Éléments d'acoustique musicale et instrumentale,23 a été très influent. Tout d'abord, nous devons nous rappeler que Mahillon était un artisan extrêmement habile, possédant une grande expérience, une grande ingéniosité et une oreille exercée. Il n'avait pas une formation scientifique poussée, mais voulait utiliser toute connaissance scientifique disponible pour avancer vers son but, l'amélioration des instruments de musique. Ce que nous devons comprendre, cependant, est que le corpus scientifique dont Mahillon disposait ne pouvait pas lui donner beaucoup plus que des directives générales et des suggestions de méthodes de recherche systématique. Mahillon présente une description admirablement claire de la nature des ondes stationnaires dans un tube cylindrique ouvert aux deux bouts et dans un tube fermé à un bout. Il fait ressortir le fait que la flûte joue à des fréquences proches des résonances d'un tube doublement ouvert et que les instruments à anche et les cuivres fonctionnent à peu près aux fréquences caractéristiques d'un tube fermé à un bout. La référence à la Figure 5a montre que pour une tube cylindrique ces fréquences favorisées pour la collaboration avec les lèvres sont les membres impairs d'une série harmonique. Autrement dit l'intervalle musical du premier au deuxième régime d'oscillation d'un tube cylindrique est une douzième. En outre l'intervalle du deuxième au troisième régime d'oscillation est une sixte majeure. Les clarinettistes sont complètement habitués à ce type de comportement et le joueur de cuivre peut observer facilement le même comportement en jouant dans un morceau de tube cylindrique (bien sûr, ne pas utiliser une embouchure).

Mahillon était évidemment conscient du fait qu'en élargissant l'extrémité supérieure (l'embouchure) d'un instrument à vent à tuyau fermé on baisse la fréquence du premier mode de résonance et on élargit l'intervalle musical entre les régimes jouables, et qu'au contraire un évasement progressif de la moitié inférieure du cylindre fait monter la première fréquence naturelle et réduit l'intervalle musical entre les régimes de jeu successifs. Bien que Mahillon n'expose pas explicitement ces questions, la nature des règles qu'il donne pour disposer les trous d'une clarinette montre qu'il a tenu compte de ces effets dans une clarinette réelle. Tous les facteurs de clarinette apprennent très tôt comment ajuster l'augmentation de perce à la jonction inférieure qui a pour effet de raccourcir la douzième, pour compenser l'allongement dû à la position du trou de registre résultant d'un compromis inévitable.

Faisons une courte digression pour voir ce qu'impliquent pour la conception des cuivres mes remarques sur l'effet d'un élargissement de la perce sur un cylindre. Nous avons vu que le cylindre donne comme suite de notes une série d'harmoniques impaires quand on le joue en utilisant les lèvres comme une anche contrôlée par la pression. Nous pourrions imaginer d'élargir un tube à son extrémité inférieure et de réduire son diamètre au niveau de l'embouchure de la quantité juste nécessaire pour que l'intervalle original de douzième entre les premiers et deuxièmes régimes soit contracté pour devenir une octave, avec l'intervalle entre les régimes deux et trois réduit d'une sixte à une quinte. Autrement dit, pouvons-nous arranger une colonne d'air évasée de façon que quand elle est fermée à son extrémité étroite, ses fréquences naturelles forment une série harmonique complète ? La réponse est oui sans hésitation. La Figure 5b montre que le l'adjonction d'un pavillon à un tube cylindrique (correspondant à un élargissement de l'extrémité ouverte d'un cylindre allongé) produit la modification recherchée.. La Figure 6 et la Figure 7 montrent que l'ajout supplémentaire d'une branche d'embouchure et d'une embouchure appropriées vont placer toutes les résonances sauf la première dans une relation harmonique. Toutefois, le premier sommet reste bas d'environ 30 pour cent. Nous avons déjà vu que l'instrument joue une série harmonique par des moyens ordinaires pour toutes les notes sauf les notes "pédale". Nous avons aussi vu que la note pédale s'entretient d'une façon différente, mais à une fréquence qui est exactement celle où notre instrument idéal mettrait le premier pic de résonance.

A la lumière du dernier paragraphe, nous pouvons voir pourquoi Mahillon a été amené (ainsi que beaucoup d'autres après lui) à traiter la trompette comme un cylindre doublement ouvert quand dans le fait acoustique c'est un tuyau fermé modifié. Dans son chapitre d'introduction sur les instruments à vent en cuivre, Mahillon spécule brièvement sur la nature d'une forme de colonne d'air appropriée. Il écrit, '[J'ai] la conviction que [les] proportions suivent. . . une courbe géométrique proche de l'hyperbole."24 C'est en fait une conjecture entièrement correcte, puisque la forme hyperbolique est celle d'un pavillon de Bessel avec un coefficient d'évasement égal à l'unité. Mahillon ainsi a clairement reconnu la nature de base d'une colonne d'air d'instrument à vent en cuivre non-cylindrique. Il n'a pas fait des remarques dans sa discussion sur la contradiction apparente quand il donne une formule pour les fréquences d'un instrument à vent en cuivre en fonction de sa longueur ; cette formule est formellement identique avec celle pour un cylindre doublement ouvert. Dans la notation moderne on peut l'écrire,

fn = nc/2[L + 2D]           n = 1, 2, 3, . .

Ici fn est la fréquence du nième composant de la série harmonique et c la vitesse du son à l'air libre. La longueur L est mesurée du bord de l'embouchure à un point quelque peu mal défini près de l'extrémité du pavillon où le diamètre est D. La formule exprime symboliquement ce qui est aussi dit dans le texte : la quantité 2D est une sorte de "correction de longueur" à l'extrémité ouverte du pavillon. Je dois souligner que la formule n'est pas basée sur la physique mathématique, mais sur des résultats d'expérience pratique. En outre, il est important de comprendre que la relation de cette formule aux propriétés d'un cylindre doublement ouvert est purement métaphorique et n'a aucun rapport visible avec la compréhension incontestable de Mahillon de la colonne d'air fermée de diamètre croissant. Néanmoins, malgré sa base mathématique inexistante, la formule empirique de Mahillon a guidé avec succès plusieurs générations de fabricants d'instrument dans leurs calculs de longueurs de pavillon et de coulisses d'accord à chaque piston.

D'un point de vue strictement utilitaire le succès de la formule de Mahillon a eu des avantages mitigés. D'un côté, elle permet le calcul facile d'une trompette réalisable de conception conventionnelle. Cependant, si on prend la métaphore à la lettre, la nature des ondes stationnaires qu'elle implique dans la colonne d'air n'est pas en accord avec la réalité, et donc les positions des noeuds et des anti-noeuds sont incorrectement prévues. Le lecteur trouvera des diagrammes de position réelle des ondes stationnaires dans mon article récent de Scientific American. Plusieurs fois j'ai eu affaire à des artisans et des musiciens qui ont été induits en erreur par la métaphore (que l'on trouve malheureusement dans beaucoup de livres courants). La métaphore implique que l'accord de la trompette peut être haussé en élargissant une extrémité ou l'autre de la colonne d'air, implication qui a plongé plus d'un facteur d'instrument dans la confusion quand il constatait que des changements sur l'embouchure ou la queue d'embouchure produisaient des effets contraires à ceux prévus.

L'acoustique de la trompette
Notions préliminaires d'acoustique
La "trompette d'eau", un analogue à ce qui se passe à l'intérieur d'une trompette
La fonction des lèvres du musicien
La fonction du tuyau et du pavillon - A l'intérieur de la colonne d'air
La coopération requise pour un résultat musical
La trompette baroque
Le spectre interne de la trompette moderne
Le spectre interne de la trompette baroque
Relation entre le spectre interne et le timbre perçu
La trompette de Menke
Le problème d'une attaque propre
Mahillon revisité
Conclusion
Notes bibliographiques