L'embouchure.
Comment l'air entre en vibration dans l'instrument.
Demandez à un trompettiste comment l'air entre en vibration.
Il vous répondra presque certainement que ce sont les lèvres,
fonctionnant comme une anche double, qui provoquent la vibration de l'air ;
il vous fera même peut-être une démonstration de "buzz"
avec et sans l'embouchure de son instrument pour montrer comment les lèvres
peuvent vibrer.
Les physiciens ont pu effectivement observer par stroboscopie à
haute fréquence à travers une embouchure transparente que
les lèvres vibrent à la fréquence de la note
jouée par le trompettiste, et cela quelle que soit la hauteur de
la note. Tout a donc l'air très simple et évident. Et
pourtant ...
Est-il possible que la tension des lèvres soit suffisante pour les faire
vibrer aux fréquences correspondant à l'étendue de l'instrument
?. Nous savons que la vibration d'une masse M attachée à
un dispositif de raideur K a une fréquence .
Pour jouer un sol aigu dont la fréquence est 788Hz, il faudrait
que la raideur des lèvres atteigne 15 N par millimètre si
on suppose que la masse de la partie vibrante des lèvres est de
0,6 grammes (valeur mesurée en 1982 par Elliot et Bowsher). Il
est manifestement impossible de faire vibrer les lèvres à
cette fréquence si leur raideur constitue la seule force de
rappel. Bien sûr, lorsque la vibration de l'air contenu dans
l'instrument est établie, elle crée dans la cuvette de
l'embouchure des variations de pression suffisantes pour obliger les
lèvres à vibrer à la même fréquence,
mais cela ne nous dit pas comment la déclencher. La question est
donc : est-ce que ce sont bien les lèvres qui mettent l'air en
vibration ? Pour le joueur de tuba et pour le joueur de didjeridoo, il
n'y a pas de doute. Mais pour le trompettiste ?
Une théorie du fonctionnement de l'embouchure.
Faites cette expérience : partant du buzz (avec et sans embouchure),
approchez la trompette et essayez de jouer la même note sans interrompre
le buzz. Le son obtenu est nasillard et forcé, le type de son qu'obtient
un jeune débutant (justement parce qu'on lui a dit que pour jouer de
la trompette, il faut faire vibrer les lèvres !), et difficile de dépasser
le Mi à vide... Rien à voir avec le beau son riche et l'aigu facile
qui vous sont habituels (je l'espère pour vous). Écartez légèrement
les lèvres pour laisser passer un peu d'air tout en gardant la pression
d'air et vous retrouvez votre son habituel tout en notant que la vibration des
lèvres est devenue presque imperceptible.
Faites une autre expérience : prenez votre embouchure, tournez la à
l'envers et soufflez par la queue un flux régulier mais pas violent en
l'enfonçant de quelques centimètres dans la bouche. Vous allez
obtenir une note aiguë, et pourtant il n'y a ni lèvre vibrante ni
trou d'embouchure de flûte.
Une
seule explication à ces deux expériences : un
phénomène aérodynamique bien connu des aviateurs,
la turbulence de sillage. L'air qui s'écoule le long de la
lèvre et arrive dans la cuvette de l'embouchure entre en
turbulence. La masse d'air instable a tendance à entrer en
oscillation, et la fréquence de l'oscillation se cale
naturellement sur l'une des fréquences de résonance de la
colonne d'air, donc sur la note que veut jouer l'instrumentiste. Dans
la deuxième expérience, l'air s'écoule dans la
queue d'embouchure, accélère à travers le grain et
entre en turbulence en arrivant dans la cuvette ; la fréquence
de résonance est celle de l'embouchure considérée
comme un tuyau. Vous noterez aussi qu'il existe une vitesse optimale
d'écoulement de l'air entre les lèvres, de l'ordre de 5
à 20 m/s selon la hauteur de la note jouée ; augmenter le
souffle n'aboutit qu'à dégrader ou arrêter le son.
En fait, ce mode de mise en vibration de l'air est celui du siffleur,
où le résonateur est constitué par sa bouche dont
il module le volume avec la langue (voir Bouasse, "Instruments à
vent" vol.2 §144 et "Tuyaux et résonateurs" chapitre II).
Donc les lèvres vibrent, certes, mais c'est la
colonne d'air qui les fait vibrer et non l'inverse. C'est la vitesse du jet
d'air qui détermine la hauteur de la note, et la tension musculaire des lèvres
ne joue pratiquement aucun rôle dans l'émission des notes aiguës. Cette analyse
du fonctionnement de l'embouchure n'est pas une découverte.
Elle est diffusée
depuis plusieurs années par le trompettiste bien connu Bobby
Shew, tant dans ses ouvrages que dans ses cours : lisez la traduction
de sa page web disponible ici.
Une autre théorie de l'embouchure.
En
revanche, John
H Lynch*, l'inventeur de l'embouchure "Asymmetric" (ne pas
confondre avec John T Lynch cité par ailleurs) défend une
autre théorie,
résumée dans son article
publié par le International Trumpet Guild Journal (Vol. 20, No.
3 Feb. 1996). Après avoir constaté comme ci-dessus que la tension
des lèvres est insuffisante à elle seule pour produire les notes
aiguës,
mais partant de l'hypothèse que c'est la vibration des lèvres
qui fait vibrer l'air, il en conclut que pour produire des notes aiguës,
il faut réduire la masse vibrante. Ayant observé comme Bobby
Shew que la lèvre supérieure vibre plus que la lèvre inférieure,
il a construit une embouchure qui immobilise la lèvre inférieure
et réduit la surface de la partie vibrante de la lèvre supérieure,
comme on le voit sur la figure ci-contre.
Discussion.
On sait que l'émission des notes aiguës est facilitée par
la position de la langue (voir l'émission du son)
arquée vers le haut, la pointe sur les dents du bas. Cette position tend
à immobiliser la lèvre inférieure, ce qui semble aller
dans le sens de la théorie de Lynch. Mais quand on veut produire une
note aiguë en sifflant, on adopte aussi cette position de la langue alors
que le sifflement est un phénomène purement aérodynamique
: aucune des lèvres ne vibre quand on siffle. La position de la langue
sert d'une part à orienter le flux d'air vers la lèvre supérieure
afin de créer l'écoulement laminaire et la turbulence de sillage
qui produisent la vibration, d'autre part à accorder la cavité
buccale sur une fréquence élevée en réduisant son
volume (selon la théorie du résonateur
de Helmoltz).
L'embouchure Asymmetric facilite effectivement la production des notes
aiguës, non pas pour la raison invoquée par son concepteur
mais parce qu'avec cette embouchure, les lèvres orientent sans
effort le filet d'air dans la bonne direction.
Un autre argument en faveur de la théorie défendue par
Bobby Shew est fourni par l'observation de la vibration des
lèvres. Par stroboscopie, on observe un mouvement complexe
accompagné de déformations dans les trois directions. Aux
fréquences basses le mouvement d'arrière en avant et
vice-versa est prépondérant et correspond grosso-modo
à celui du buzz, mais au fur et à mesure qu'on monte dans
l'aigu, la vibration devient verticale, comme l'a montré Yoshikawa
en 1994, donc impossible à déclencher par le buzz ; dans
l'aigu, comme pour les cordes vocales, c'est l'effet de Bernoulli qui
exerce la force de rappel et non les muscles des lèvres.
Conséquences pratiques.
Cette discussion montre que pour obtenir les notes les plus
aiguës, la "méthode" spontanée consistant à
prendre une embouchure plus petite et à l'appuyer le plus fort
possible en forçant les lèvres à vibrer est
vouée à l'échec, puisqu'on ne peut pas
réduire suffisamment la masse vibrante. Il faut apprendre
à déclencher la vibration autrement, en configurant la
langue et les lèvres comme pour siffler. C'est d'ailleurs ce
qu'écrit explicitement Clint "Pops" McLaughlin dans sa
méthode "30 minutes par jour" qui développe l'étendue pratique de jeu jusqu'au contre sol.
Les trompettistes qui n'ont pas appris à jouer de cette
façon (malheureusement ils ne sont pas rares) sont donc
condamnés à une tessiture limitée, le sol au
dessus de la portée est déjà difficile pour eux,
et ils se fatiguent vite les lèvres en raison d'un appui
excessif.
Comment placer l'embouchure sur les lèvres ?
Il n'y a pas de règle absolue sur la position de l'embouchure par rapport
aux lèvres, parce qu'elle dépend beaucoup de la forme de la
mâchoire
et de la disposition des dents.
Aux Etats-Unis, cette question a donné lieu à des controverses entre les tenants de diverses méthodes décrites dans la version anglaise de Wikipedia. Pour jouer dans l'aigu, il faut injecter un filet d'air à vitesse élevée
vers le bord de la cuvette de l'embouchure, de façon à produire
un
tourbillon contenant des fréquences d'oscillation suffisamment hautes.
Si la cuvette est de forme circulaire, on peut l'injecter vers le haut ou
vers le bas (ou même sur le côté en théorie) : tout
dépend de la
configuration de la mâchoire et des dents du trompettiste. La méthode
Maggio préconise de
placer l'embouchure plus haut sur la lèvre supérieure, mais les méthodes
récentes
comme celle de Walt Johnson pour jouer dans l'extrême
aigu préconisent au contraire de placer l'embouchure plus bas
sur la lèvre
inférieure, car c'est ce qui marche
pour
les morphologies de bouche les plus courantes. La position haute, celle
des cornistes,
permet probablement d'obtenir à la longue un meilleur son et des
attaques
plus propres, mais elle demande des années d'entraînement
et vous
ne serez
jamais à l'aise au dessus du contre-ut avec cette position. Mais
l'important est de ne pas envoyer l'air directement dans le grain. On
raconte que Vincent Bach était persuadé qu'il envoyait
l'air droit dans le grain, jusqu'à ce qu'on lui prouve en
utilisant une embouchure transparente qu'il dirigeait l'air vers le
bord comme tout le monde !
Personnellement, je place l'embouchure assez
bas, 1/3 lèvre supérieure et 2/3 lèvre inférieure,
parce que c'est comme ça que je suis à l'aise. La position
1/3 - 2/3 est également recommandée
par John Lynch, en
s'appuyant sur diverses études,
mais l'explication qu'il donne de ses avantages repose toujours sur l'hypothèse
erronée que les aigus s'obtiennent en réduisant
la masse vibrante. Je
connais aussi de bons
trompettistes qui jouent avec l'embouchure un peu décalée
sur le côté et non pas centrée sur le milieu de la bouche.
Tout cela s'explique très bien quand on admet que l'important est d'envoyer
le filet d'air qui va entrer en oscillation dans la bonne direction et au
bon endroit par rapport à la cuvette de l'embouchure.
La langue joue aussi un rôle important. C'est elle qui
détermine la vitesse du filet d'air en modulant la section de
passage de l'air entre la langue et le palais, tandis que le rôle
des lèvres est d'orienter ce filet d'air. Il faut éviter d'écarter les lèvres avant de poser l'embouchure, car elles ne joueraient plus ce rôle d'orientation. Il faut aussi faire
attention à ne pas trop appuyer l'embouchure sur les
lèvres. La force d'appui a pour seul rôle de conserver la
pression de l'air en l'empêchant de fuir sur les
côtés. Si vous avez besoin d'appuyer fort pour jouer, cela
peut provenir d'une mauvaise position de la langue, d'un écartement des lèvres (l'appui permet de les refermer) ou bien d'une trop
faible ouverture du larynx qui oblige à augmenter la pression de
l'air à cause d'un manque de soutien de la colonne
d'air interne.