L’émission du son dans les cuivres

Traduction par Joël Eymard de http://en.wikipedia.org/wiki/Embouchure (version du 22 août 2007)
Note : le terme "embouchure" en anglais n’a pas le même sens qu’en français. Il désigne la configuration de l’ensemble formé par la bouche du musicien (cavité orale, langue et lèvres) et l’embouchure de l’instrument. Faute d’un terme équivalent en français, nous utiliserons l’abréviation "CBME" pour "Configuration de la Bouche du Musicien et de l’Embouchure".

Quand on joue d’un cuivre, le son est produit par la vibration des lèvres de l’instrumentiste dans l’embouchure. La hauteur du son est contrôlée en partie par la contraction des muscles des lèvres. Le souffle, la contraction des joues et des mâchoires ainsi que la position de la langue ont également une influence.
Aujourd’hui encore, bien des professeurs d’instrument ont une approche dogmatique de la "bonne" façon d’émettre le son. Ils sont nombreux à se disputer pour savoir quelle est la technique correcte. Les recherches menées depuis 1940 jusqu’à nos jours semblent montrer que la méthode efficace est celle qui est la mieux adaptée à la conformation particulière de l’instrumentiste.

Philip Farkas, corniste et pédagogue réputé a fait l’hypothèse dans son ouvrage de 1962 The art of brass playing que le filet d’air passant entre les lèvres devait être envoyé directement dans le grain de l’embouchure. Farkas croyait qu’il était illogique de "dévier fortement" le flux d’air vers le bas à la sortie des lèvres (Farkas 1962). Dans ce texte, il recommande aussi d’avancer la mâchoire inférieure de façon à aligner les dents du haut et du bas.
En 1970, Farkas publie un autre article sur la CBME : A photographic study of 40 virtuoso horn players (étude photographique de 40 cornistes virtuoses). Cet article contredit son ouvrage précédent : sur 40 individus, Farkas montre que 39 dirigent le filet d’air vers le bas à des degrés variés et un vers le haut. Sur ces photos, on voit aussi que la mâchoire inférieure prend des positions variées.

Tout ceci confirme ce qu’écrivait en 1942 le tromboniste et pédagogue Donald S. Reinhardt dans ses ouvrages Pivot System for trumpet et Pivot System for trombone. Dans son livre de 1972 The encyclopedia of the Pivot System, Reinhardt décrit et catalogue différentes configurations comprenant le placement de l’embouchure et la direction du filet d’air à la sortie des lèvres. Selon cette étude, les musiciens qui placent l’embouchure en haut (reposant principalement sur la lèvre supérieure) injectent le filet d’air vers le bas, tandis que ceux qui la placent en bas (plus sur la lèvre inférieure) l’injectent vers le haut. Pour que l’émission du son soit efficace, la direction du jet d’air et le placement de l’embouchure doivent être adaptés à la configuration anatomique de chaque instrumentiste. Lloyd Leno a confirmé l’existence des deux types de placement haut et bas dans son article de 1987 A study of lips vibration with high-speed photography (étude des vibrations des lèvres avec des photos à cadence rapide) publié dans le International Trombone Association Journal.

Les descriptions et recommandations de Reinhardt à propos de ce qu’il appelle le "pivot" sont plus controversées. Selon Reinhardt, une bonne émission suppose un déplacement de l’embouchure et des lèvres le long des dents vers le haut ou vers le bas. Quand on monte dans l’aigu, on déplace légèrement l’embouchure et les lèvres ensemble vers le haut ou vers le bas, selon le cas, et on applique le mouvement opposé pour descendre. Le sens et l’amplitude du déplacement dépendent de la conformation anatomique de l’instrumentiste et de son degré de développement. La position de l’embouchure sur les lèvres ne change pas, mais plutôt la relation entre le bord de l’embouchure et les lèvres avec les dents. L’inclinaison de l’instrument peut varier en fonction de l’implantation des dents et de la position de la mâchoire, mais cette inclinaison n’a rien à voir avec ce que Reinhardt appelle le "pivot" contrairement à ce qu’affirment de nombreux instrumentistes et professeurs.

Des études récentes confirment l’existence du déplacement décrit par Reinhardt et son utilité pour l’émission du son. Dans un article paru dans le International Trombone Association Journal "The mouthpiece force used during trombone performance" (la force d’appui de l’embouchure dans le jeu du trombone) (1990) John Froelich décrit comment les forces exercées sur les lèvres verticalement et horizontalement interviennent dans trois groupes de testeurs, des élèves, des professeurs de trombone et des trombonistes d’orchestres symphoniques professionnels. Froelich note que les trombonistes symphoniques appliquent le minimum de force dans les deux sens et recommande de suivre leur exemple. D’autres études récentes (The correlation between Doug Elliot’s embouchure types and playing and selected physical characteristics among trombonists, thèse de doctorat de David Wilken, Ball State University, 2000 et An analysis, classification and revaluation of Donald Reinhardt’s Pivot System for brass instruments, thèse de doctorat de David Ray Turnbull, Arizona State University, 2001) montrent que pratiquement tous les joueurs de cuivres utilisent ces déplacements vers le haut ou vers le bas. D’autres auteurs ou professeurs restent sceptiques sur la nécessité de ce déplacement, mais on n’a pas à l’heure actuelle de preuves scientifiques suffisantes pour soutenir ce point de vue.

Beaucoup de professeurs réputés préfèrent s’en tenir à une approche moins analytique. Arnold Jacobs, tubiste et professeur renommé, considérait qu’il valait mieux que l’élève se concentre sur la colonne d’air et la musicalité en laissant sa CBME se développer naturellement (Arnold Jacobs : Song and Wind par Brian Frederiksen, 1996). D’autres professeurs comme Carmine Caruso pensent que la CBME doit être développée par des exercices de musculation qui fixent l’attention des élèves sur leur perception du temps ("Musical calisthenic for brass" par Carmine Caruso, 1979). D’autres auteurs ont encore des approches différentes du développement de la CBME, comme Louis Maggio ("Original Louis Maggio system for brass" par Carlton MacBeth), Jeff Smiley ("The balanced embouchure") et Jerome Callet ("Superchops, trumpet secrets").

La CBME de Farkas
La plupart des professionnels et des professeurs mettent leurs lèvres dans une configuration qu’on peut décrire comme "un sourire en cul-de-poule". Elle est décrite dans son livre The art of brass playing et facile à obtenir. C’est comme quand on souffle sur la soupe pour la refroidir, ou quand on siffle. Rafael Mendez disait de prononcer la consonne "M". La peau sous la lèvre inférieure doit être tendue sans poche d’air. Les lèvres ne doivent ni se recouvrir, ni se recourber vers l’intérieur ou l’extérieur. Les coins des lèvres sont maintenus fermement en place. Pour jouer dans l’aigu, on doit utiliser un "pivot", l’arc de la langue et l’appui des lèvres l’une sur l’autre.
D’après The art of brass playing l’embouchure doit être placée moitié sur la lèvre supérieure, moitié sur la lèvre inférieure. Farkas supposait que l’instrument devait être tenu incliné vers le bas de façon que le filet d’air soit envoyé au centre de l’embouchure, mais son essai suivant A photographic study of 40 virtuosi horn players montre que le filet d’air est en fait dirigé vers le bas ou vers le haut selon que l’embouchure repose majoritairement sur la lèvre supérieure ou inférieure, indépendamment de l’inclinaison de l’instrument. Farkas conseille d’humecter l’extérieur des lèvres, puis de former la CBME en posant doucement l’embouchure sur les lèvres. Il recommande aussi d’écarter les dents d’un bon centimètre environ pour laisser l’air passer librement.

Le "buzzing"
La CBME de Farkas est à la base de la plupart des méthodes qui emploient le "buzzing", c'est-à-dire la vibration forcée des lèvres. Mendez enseignait le buzzing avec de bons résultats. Il s’obtient en soufflant entre les lèvres serrées. C’est très utile dans la CBME de Farkas pour empêcher de jouer avec les lèvres écartées.

La CBME de Stevens (autrefois appelée CBME de Costello)
Elle consiste à rentrer légèrement les lèvres qui doivent se toucher sur toute leur longueur, avec l’embouchure placée aussi moitié sur la lèvre supérieure, moitié sur la lèvre inférieure. Les dents sont écartées d’un bon centimètre et la mâchoire est avancée de façon à aligner les dents du haut et du bas. L’instrument est alors horizontal ou légèrement relevé.
Il y a très peu d’appui sur l’embouchure. Pour s’entrainer, poser l’instrument à plat sur la paume de la main sans le tenir. Poser les lèvres sur l’embouchure et jouer. Au début, on n’y arrive pas mais avec de l’entrainement on peut arriver à sortir un contre-ut dans cette position.
Il faut resserrer les lèvres pour jouer dans l’aigu. Détendre les lèvres et réduire l’appui sur l’embouchure. Laisser l’air faire le travail. En appuyant les lèvres l’une sur l’autre, cela peut produire un bourrelet sous la lèvre inférieure. Cette CBME peut fonctionner avec la langue arquée (mais Stevens était contre) et avec un pivot.
Ainsi, sur le trombone, la CBME de Stevens peut étendre la tessiture d’une octave complète dans l’aigu. Mais elle est extrêmement difficile à contrôler, surtout quand on passe du grave à l’aigu. Il est difficile aussi de passer de la CBME de Stevens à celle de Farkas pour aborder et quitter les passages très aigus, et cela peut nécessiter le retrait de l’embouchure.
N.d.T. : la CBME conseillée par Walt Johnson dans "Double high C in ten minutes" est voisine de celle de Stevens, mais sans avancer la mâchoire et avec l'embouchure placée plus bas sur la lèvre inférieure.

La CBME de Maggio
Elle consiste à ramener les lèvres en "cul-de-poule" et elle est utilisée quelques fois en jazz pour jouer dans le suraigu. Maggio affirmait que cette configuration donne plus d’endurance que d’autres méthodes. Le principal promoteur de cette CBME est Carlton MacBeth. Elle a été conçue par Maggio à la suite d’une blessure de la bouche qui l’empêchait de jouer. Dans cette configuration, les lèvres forment un coussin en ramenant la chair au centre (comme un singe). Cela permet de compenser des malformations physiques, et aussi de jouer plus longtemps dans l’aigu. Le risque est d’avoir les lèvres trop écartées en jouant ; il peut être réduit en travaillant beaucoup pianissimo.

La CBME contrôlée par la langue
Cette CBME, promue par une minorité de pédagogues parmi lesquels Jerome Callet, n’a pas fait l’objet d’assez de recherches pour justifier leur revendication que ce système est l’approche la plus efficace pour tous les cuivres.
Les partisans de l’approche de Callet sont persuadés que cette méthode était recommandée et enseignée par les plus grands professeurs du début du 20ème siècle. Deux méthodes françaises de trompette, celles de Jean-Baptiste Arban et celle de Louis Saint-Jacome, ont été traduites en anglais pour le public américain. Selon certains, la CBME communément utilisée en Europe a été mal comprise en raison d’une traduction incorrecte due aux différences de prononciation entre le français et l’anglais (N.d.T. : il s’agit du "tu" prononcé "tou" en anglais, d’où une position incorrecte de la langue). Selon Callet, c’est cette différence de CBME qui explique le niveau de virtuosité atteint par les grands solistes du passé, bien que la difficulté des œuvres contemporaines pour cuivres laisse penser que le niveau technique des musiciens actuels égale ou même dépasse celui de la plupart des instrumentistes de la fin du 19ème et du début du 20ème siècles.
La CBME de Callet implique de maintenir la langue avancée entre les dents. Les coins de la bouche restent détendus et on utilise peu d’air. Les lèvres sont retroussées vers l’intérieur et s’appuient sur la langue. La langue oblige à garder les dents écartées et donc la gorge ouverte, ce qui donne en principe un son plus large et plus ouvert. La langue supporte l’appui de l’embouchure, contrôle le débit d’air pour les graves et les aigus, et protège les lèvres et les dents contre les risques dus à l’appui de l’embouchure. Du fait du rôle important de la langue dans cette méthode, elle est souvent appelée Tongue-controlled embouchure ou TCE. Cette technique facilite l’usage d’une petite embouchure et d’un instrument à perce large. Elle améliore la justesse et la richesse harmonique du son sur toute la tessiture.