La physique des cuivres

Pour comprendre comment fonctionne une trompette, il faut revenir un moment à la physique des vibrations. Je vais essayer d'être bref et compréhensible en essayant de ne pas infliger un cours magistral. Pour une présentation plus complète de la théorie, lisez "L'acoustique de la trompette" écrit par Arthur H. Benade en 1973. On y trouve une explication du fonctionnement de la trompette à la fois simple et rigoureuse, compréhensible même sans avoir fait des études scientifiques. Si vous avez des connaissances plus avancées en physique, lisez l'article de Joël Gilbert "les cuivres" publié en 2000 (avec les figures et les annexes).
Les trois composants principaux des cuivres sont la colonne d'air (le guide d'ondes/résonateur), les lèvres de l'instrumentiste et l'embouchure (l'excitateur) et le pavillon (le radiateur).

La colonne d'air d'une trompette.

• Dans un tube cylindrique, les ondes se propagent selon les trois axes de coordonnées. Dans le tube d'un instrument à vent, les modes de résonance transversaux se produisent à des fréquences trop élevées pour être excitées et contribuer au son avec une amplitude significative. Donc dans un instrument à vent, les ondes de vibration utiles de la colonne d'air sont planes et se propagent dans l'axe principal du tube.
• La distribution des pressions le long d'un tube de longueur L dépend des conditions aux limites à chaque extrémité. Pour un tuyau ouvert aux deux bouts, les fréquences des ondes stationnaires sont données par la formule fn = nc/2L avec n = 1, 2, 3, ..., où c est la vitesse du son dans l'air. Pour un tuyau cylindrique ouvert à une seule extrémité, les ondes stationnaires ont pour fréquences fn = nc/4L avec n = 1, 3, 5, ....; en revanche, un tuyau conique (donc fermé à un bout) a les mêmes résonances qu'un tuyau cylindrique ouvert aux deux bouts.
• La colonne d'air d'un cuivre est généralement constituée d'une section conique (queue et branche d'embouchure), d'une section cylindrique (coulisses d'accord) et d'un pavillon en partie conique et en partie évasé, sans parler de la bouche et de la gorge du musicien. On ne peut donc trouver de formule simple donnant les fréquences de résonance. Les facteurs d'instrument obtiennent empiriquement pour chaque position des pistons une série de multiples approximatifs d'une fréquence de base (0.7, 2, 3, 4, ...) f0.
• Les trois pistons offrent 8 configurations possibles de colonne d'air, et l'ensemble des résonances ainsi obtenues donne toutes les notes de la gamme chromatique.

Les lèvres du trompettiste et l'embouchure.

• Selon la théorie communément admise, les lèvres fonctionnent comme une valve commandée par la pression, qui s'ouvre et émet une certaine quantité d'air chaque fois que la pression dans la bouche est suffisante. L'onde de pression réfléchie par l'extrémité ouverte du tube crée un couplage positif entre la vibration de l'air et la vibration des lèvres, permettant de maintenir celle-ci avec un minimum d'effort. Cette théorie est discutée plus loin.
• Toujours selon la théorie classique, le trompettiste choisit la fréquence de vibration parmi la série des résonances possibles de la colonne d'air, via la tension musculaire des lèvres et le contrôle de la masse en mouvement. L'appui sur l'embouchure permet de réduire la zone vibrante et d'augmenter la tension, donc de se caler sur une résonance plus aiguë, mais de façon insuffisante pour couvrir l'étendue des fréquences à émette et au prix d'une perturbation de la circulation sanguine. L'entraînement physique des lèvres est donc indispensable. Lorsque les lèvres sont contractées en vue de l'émission d'une note aiguë, la pression d'air nécessaire pour déclencher la vibration est très élevée, jusqu'à 1,5 bars. Il est donc également indispensable de développer la capacité physique à produire une telle pression en entraînant les muscles ad hoc.
• Selon une autre théorie du fonctionnement de l'embouchure, pour chaque position des pistons, on choisit la note parmi les résonance possibles en ajustant la vitesse du filet d'air injecté dans l'embouchure, qui elle-même détermine le régime d'oscillations du tourbillon qui se forme dans l'embouchure. Le contrôle de la vitesse du filet d'air s'obtient en contrôlant la pression d'air dans la bouche et en contrôlant la section de passage de l'air d'une part entre la langue et le palais, d'autre part entre les lèvres.
• Le rendement est optimal lorsque les résonances de la colonne d'air sont proches des multiples entiers de la fréquence de base, car ainsi chacun des partiels du son émis excite une résonance particulière de la colonne d'air. Justesse et qualité de son sont donc intimement liés dans la trompette. (ce point est particulièrement bien expliqué dans la monographie de Benade).

Le rayonnement du son et l'influence du pavillon.

• Pour que le son atteigne l'auditeur, il faut que la vibration de la colonne d'air contenue dans la trompette entraîne la vibration de la masse d'air ambiant, ce qu'on appelle un "couplage" entre la vibration de la colonne d'air et celle de l'air ambiant.
• L'extrémité d'un tube cylindrique offre un mauvais couplage, en particulier aux basses fréquences. En revanche, le pavillon permet une adaptation progressive entre l'impédance élevée du tube et l'impédance très basse de l'air ambiant, facilitant le couplage des vibrations. Il est cependant nécessaire que le couplage soit imparfait car si toute l'énergie de la colonne d'air était transmise à l'air ambiant, il n'y aurait pas d'onde réfléchie, donc pas de résonance, donc pas de possibilité d'entretenir la vibration.
• La forme du pavillon joue donc un rôle essentiel dans la production du son. Un pavillon qui transmet beaucoup d'énergie à l'air ambiant (pavillon large avec une partie évasée importante) permettra de produire un son plus fort, mais il faudra que le trompettiste dépense plus d'énergie pour maintenir la vibration puisque il y a moins d'énergie réfléchie pour l'aider. On comprend ainsi la différence entre une trompette "ouverte" qui a une réponse immédiate et un son très large, et une trompette "fermée" qui résiste plus à l'émission ƒƒ mais qui offre une meilleure endurance à l'instrumentiste et plus de contrôle dans l'aigu car les pics de résonance sont plus marqués. Vous trouverez ici une présentation intéressante du rôle du pavillon et de la branche d'embouchure, tirée du site web des instruments Smith-Watkins, qui montre une analogie de fonctionnement entre la trompette et le laser !
• Notons enfin que contrairement à une idée répandue mais fausse, le pavillon de la trompette (et des autres cuivres) n'est pas exponentiel. Un pavillon exponentiel transmet toute l'énergie à l'air ambiant, c'est pourquoi on l'utilise pour les haut-parleurs de sonorisation à chambre de compression ; sur une trompette, il ferait disparaître toutes les résonances de la colonne d'air. La courbure du pavillon de la trompette peut être représentée approximativement par une équation de type D = B/(y + y0)ay0 et B sont choisis pour donner des diamètres appropriés aux deux extrémités, et a est un coefficient de l'ordre de 0,6 qui détermine le comportement acoustique de la colonne d'air.

Pour une approche complète de l'acoustique appliquée aux instruments à vents, la référence est le livre de Henri Bouasse : Instruments à vent en deux volumes, publié à Paris en 1929 aux éditions Delagrave. Un ouvrage plus récent, qui complète bien Bouasse, est le livre de Arthur Benade Fundamentals of Musical Acoustics, publié aux États-Unis en 1976 chez Dover et révisé en 1990, mais il n'en existe pas de traduction française.