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La respiration

Alain Faucher

Avant de poursuivre, je rappelle que tout ce que j'écris ci-dessous est le résultat d'une réflexion et expérience d'un être humain lambda qui ne possède pas de connaissances scientifiques spécifiques. Je ne m'appuie que sur la seule observation de mon propre corps, ce que tout un chacun peut réaliser.

Le jeu préconisé pour réussir et pour être pleinement en accord avec sa sensibilité est fondé sur la décontraction. Ce simple mot ne donne malheureusement pas les clés indispensables pour parvenir à celle-ci. Cette décontraction dont nous allons détailler les pistes, ne sera possible que lors d'un jeu instrumental réalisé dans un état de laisser faire.

Pour cela, trois grands stades sont à discerner dans l'acquisition de cet apprentissage :
• Stade de la recherche et de la découverte (écoute et observation de son corps)
• Stade de la mémorisation et du conditionnement (écoute et observation de son corps)
• Stade de l'oubli (nécessaire au laisser faire et non au laisser aller). Le jeu se déroule dans un inconscient technique et ne s'appuie que sur des sensations)
Pour comprendre et adhérer à ce schéma, il suffit de citer en exemple la grammaire d'une langue. En effet, lorsque nous échangeons verbalement, nous n'évoquons nullement, d'une manière consciente, les schémas grammaticaux appris et décortiqués à l'école. Si cela était, nous serions en grande difficulté, en hésitations et en écoute de notre propre parole : celle­ci serait hachée, reprise, ...bref, nous deviendrions pénibles à écouter.
Cet exemple facile à comprendre est valable pour ce qui concerne tous les apprentissages de notre vie. Il en découle une observation intéressante : on ne peut à la fois préparer son langage et dans le même temps s'écouter. Le discours résultant ne pourrait être continu (observer les gens qui s'écoutent parler). Il en va de même pour le musicien instrumentiste, bien que, celui-ci puisse plus facilement émettre un son et s'écouter. Malheureusement dans ce cas sa pensée n'est plus à l'anticipation de la musique à émettre. Edgar Willems, grand pédagogue de la musique, disait : "le bon musicien est celui qui entend la musique qu'il va jouer, le mauvais est celui qui écoute la musique qu'il vient de produire."
En effet il est trop tard, une fois réalisé le son ne peut être ni rattrapé ni corrigé.

Le premier élément à prendre en compte pour un jeu basé sur la décontraction est la respiration. Elle est l'acte majeur pour l'être humain. L'air est le premier élément basique indispensable, avec une possibilité de variantes quant à sa qualité. Le deuxième élément à considérer est la mécanique corporelle mise en oeuvre pour que l'action respiratoire fonctionne. Nous allons détailler cet acte. Il convient d'abord, de préciser, que cette belle mécanique respiratoire fonctionne à l'insu de notre conscient. Heureusement, car dans le cas contraire, la nuit ou lors d'une perte de conscience passagère, nous ne respirerions plus. Ces moments permettent une décontraction évidente qui se nomme le repos. Le risque de problèmes apparaît lorsque nous sommes en état d'éveil, notre conscient est activé. Celui-ci va tenter à tout moment de s'occuper de ce qui ne le regarde pas. Il n'a pas les moyens de connaître la juste valeur de notre besoin respiratoire.

Cette remarque prend appui sur des observations évidentes : parler devant un auditoire plus ou moins important, ou imposant, provoque souvent des prises d'air trop importantes. Des contractions musculaires se créent au niveau du ventre, de la la gorge ; on a trop d'air, ou on en manque, on s'essouffle, les jambes, les mains tremblent.... Bien sûr cela s'appelle le trac. Il est propre à chacun. Alors que ce même discours échangé entre amis, autour d'un verre, ne réclame pas ce réflexe de respiration volontaire et nous permet de rester décontracté.
Dans le premier cas, la relation avec notre conscient est évidente. La panique que celui-ci déclenche  nous pousse à prendre des respirations volontaires. Celles-ci sont nuisibles et vont à l'encontre de la décontraction recherchée.

L'acte respiratoire est à diviser en deux parties : l'inspiration et l'expiration.
Dans l'acte respiratoire décontracté et non réfléchi que nous appellerons naturel, l'inspiration est passive et l'expiration active.
Pour exemple, comparons nos poumons, masses inertes, à une bouteille plastique sans bouchon remplie d'eau immergée dans un contenant lui-même rempli d'eau. Compressons la bouteille le flux liquide rejoint le volume extérieur. Relâchons la pression sur la bouteille : la masse de liquide sortie réintègre à nouveau la bouteille la masse d'eau est aspirée. Cette masse d'eau correspond exactement au volume initial de la bouteille. Si nous voulions remplir d'avantage la bouteille, nous serions obligés de forcer, les parois s'évaseraient, mais sans bouchon, nous ne pourrions maintenir cette surcapacité. Il en va de même pour nos poumons.
Faites vous-même l'expérience de tenter de remplir vos poumons au maximum de leur capacité d'une manière volontaire, donc active. Il en résultera l'envie de bloquer la gorge pour retenir l'air, et la compression obtenue prendra appui sur la quantité. (La gorge servant de bouchon.)
Nous sommes loin d'un jeu basé sur la décontraction ! Ici l'inspiration est active. Beaucoup d'instrumentistes pensent que c'est la quantité qui va donner la pression, la force ou le fortissimo. C'est une erreur fondamentale. Qui en plantant un clou ne s'est pas tapé sur les doigts et n'a pas instantanément hurlé en affolant ou ameutant le voisinage ? Il est évident que les poumons n'étaient pas volontairement remplis à ce moment précis.
Maintenant, consciemment, remplissez vos poumons à fond et tentez de crier immédiatement : votre cri risque fort d'être bloqué dans votre gorge ! L'acte le plus naturel est de considérer notre ensemble respiratoire comme une pompe que nous viderions volontairement avec un dosage dont nous reparlerons.
Arrivés au bout de cette expiration nous devons tout relâcher, muscles dorsaux et intercostaux, le diaphragme tombe et telles des éponges auparavant compressées nos poumons reprennent leur volume initial en aspirant l'air extérieur.

A ce stade de mon discours, un croquis s’impose :

 

Ce schéma représente le fonctionnement idéal du mécanisme respiratoire lors d’une prise naturelle de la parole ou d’un jeu instrumental (sans stress)
Donc, pour poursuivre, nous allons parler de l’acte d’expiration actif, c’est à dire volontaire.
Pour le musicien instrumentiste, il se nomme " souffle". A ce stade de la réflexion il est utile de se pencher sur la nature de ce " souffle". Étymologiquement, le dictionnaire nous explique entre autre que ce mot " souffle" représente un déplacement d’air.  En nous observant dans certains actes de la vie de tous les jours, nous constatons qu’il existe plusieurs manières de l’utiliser et que cela provoque des incidences différentes.
Premier exemple :
Lors d’un repas, la soupe étant trop chaude, nous allons la refroidir en soufflant dessus. Vous créez par ce souffle un déplacement plus ou moins léger de la matière. Le bébé aura bien compris le jeu en utilisant son souffle pour vous arroser de purée ou d’ingrédients du même genre.
Constat : La vitesse de sortie de l’air est importante d’où la sensation de froid ; le déplacement d’air est conséquent, et les poumons sont rapidement vidés.
Deuxième exemple :
Nous chantons à gorge déployée simplement sur la déclinaison d’une voyelle A ou O. Nous sommes au milieu de la chorale et nous tenons tous une bougie à la main devant nous. Une partition de musique est posée également devant nous sur un pupitre afin de lecture. Constat : la bougie ne s’éteint pas, et la partition ne s’est pas envolée. Le déplacement d’air est pour ainsi dire inexistant. Nos poumons ne se vident pas aussi vite que dans le premier exemple.
Troisième exemple :
Un temps glacial nous surprend, nous avons oublié nos gants, nous devons réchauffer nos doigts, nous les plaçons devant notre bouche ouverte, et nous essayons de faire durer le plaisir.
Constat : peu d’air s’échappe, et celui-ci est chaud, il avoisine une température de 36°. La vitesse d’air semble retenue pour durer plus longtemps d’où la sensation de chaud. Nos poumons ne se sont pas vidés très rapidement.

Il est également curieux de constater que nous réussissons à retenir notre air, bouche grande ouverte. Mais nous ne possédons pas encore la maîtrise de cette sensation, nous n’arrivons pas encore à situer et à reproduire celle-ci lorsque nous plaçons l’instrument devant la bouche.

Un choix de souffle s’impose alors pour pouvoir mettre les lèvres en vibration (vibration résultant d’une combinaison entre le passage air et le positionnement des lèvres)
La question est : pour émettre un son,
- faut-il obligatoirement de l’air fortement propulsé à l’intérieur du tuyau ? Ou limiter au maximum sa sortie ?
- faut-il s’intéresser à la qualité de l’air servant à la vibration : chaud ?  ou froid ?

Pour nous aider à répondre réfléchissons sur ce qu’est un son ? L’encyclopédie nous dit : le son est la sensation donnée par l’organe de l’ouïe. On constate facilement qu’un corps ne peut émettre un son que s’il vibre. Ses vibrations sont transmises, par l’intermédiaire de l’air, au tympan etc. …; le son ne se transmet pas seulement dans l’air, mais d’une manière générale dans tous les milieux matériels (solides, liquides, ou gaz). Mais il ne se transmet pas dans le vide.
Or nos instruments dits à vent, ne sont pas vides. (dans le cas contraire ils imploseraient). Si nous nous trouvions au fond de la piscine avec une trompette, une clarinette, etc. l’eau se trouverait aussi bien à l’intérieur, qu’à l’extérieur de l’instrument. Il en va de même pour l’air.

Gardons l’image de l’eau pour visualiser ce qu’il se passe avec l’air.
Expérience :
1) Lançons un caillou dans une eau stagnante, un vrai miroir. Un pli, sous forme d’une vaguelette circulaire, se forme, s’élargit en s’éloignant du centre de l’impact.
Constat : L’onde ainsi obtenue est très lisible et s’estompe lorsqu’elle s’éloigne.
2) Reproduisons l’expérience dans une eau déjà perturbée par une brise provoquant des vaguelettes, l’impact produit également un pli mais l’onde ainsi produite se confond avec les vaguelettes
Constat : l’onde est beaucoup moins lisible, moins nette.
Il en va de même pour l’air contenu dans l’instrument. Son déplacement ou dérangement est utile et nécessaire pour la réalisation du son. Mais cela devient plus problématique lorsqu’un courant d’air supplémentaire vient se rajouter à l’air déjà existant dans le tuyau instrumental. Le premier exemple de souffle avec déplacement et air froid est donc à oublier sinon, le son pourra être produit bien entendu, mais beaucoup de perturbations gêneront la pratique instrumentale :
- Trop grande rapidité du vidage des poumons, donc course à l’inspiration
- prise d’air volontaire, donc contractions, avec des conséquences de blocage et fermeture de gorge,
- sonorité saturée, voire des coupures de ‘’vent’’ dans la continuité du jeu 
- difficultés pour monter dans l’aigu ou descente dans les graves avec une conséquence de fatigue, essoufflement, etc.

Donc, le choix du souffle devient évident. C’est celui du chant, celui qui est retenu d’une manière naturelle et corporelle. On peu affirmer qu’il est moins pénible d’obtenir un son par une mise en vibration de l’air ambiant. D’autres évidences se dégagent :
- l’enrichissement de la sonorité, celle-ci possédant toutes les harmoniques ;
- une souplesse de jeu sur l’étendue de la tessiture ;
- une longueur de phrase conséquente ; 
- une continuité musicale du début de l’expiration jusqu’à la fin de celle-ci ;
- une inspiration décontraction permettant un jeu long sans fatigue excessive.
La difficulté réside dans la capacité à exprimer une véhémence, comme celle éprouvée lors d’une colère, afin de soutenir l’expression du son, tout en retenant le débit d’air. Celui-ci doit être au presque inexistant.
Pour illustrer ces propos, j’imagine un véhicule à l’intérieur duquel fonctionnerait une raffinerie de pétrole, le moteur ne fonctionnant qu’avec le produit raffiné. Le plein étant fait directement au pétrole.
Un dérèglement provoquerait un passage direct du pétrole dans le moteur, ayant pour conséquences :
            - un mauvais fonctionnement du moteur,
            - vidage rapide du réservoir,
Remplaçons le véhicule par nous même, le pétrole par l’air et le produit raffiné par la retenue du souffle. Le dérèglement serait le mélange de l’air de base et l’air sous pression retenu, ayant pour conséquences :
            - fatigue, essoufflement … (voir plus haut)
            - vidage rapide des poumons

Il est donc préconisé de retenir au maximum son air comme le fait d’ailleurs le chanteur d’opéra. La vérification peut s’effectuer facilement en plaçant le dos de sa main à la sortie de l’embouchure ou du barillet ou du bocal.
Nous parlerons dans la page suivante de la posture du corps, de la gorge, de la langue.

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© Alain Faucher 2006