Je m’appelle Alain Faucher, né en 1951,
et je suis enseignant formateur à l’Éducation
Nationale. Professeur vacataire au Conservatoire agrée de
St.Geneviève des Bois et à l’École de
Musique de Brétigny/Orge, j’enseigne la trompette. Depuis
quatre ans, j’anime un atelier de "respiration –
décontraction", en direction de la pratique amateur, à la
demande de la Fédération Musicale de l’Essonne. La
maison Feeling Music, à Paris m’offre également un
espace privilégié pour quelques "master classes" sur ce
sujet. Certaines écoles ou conservatoires me demandent une
animation pédagogique sur le sujet.
Cet
espace éditorial me permet de vous faire partager, sous forme de
témoignage, mes quarante années d’échanges
avec un grand maître pédagogue de la trompette, Robert Pichaureau.
Ce grand Monsieur a le plus souvent œuvré dans
l’ombre, et il n’est que justice, aujourd’hui de
clamer haut et fort le fruit de toute une vie consacrée à
la recherche d’un plaisir de jouer de la trompette, et des
instruments à vent en général. Sa quête fut
inlassable sur les arcanes de la formation du son et de
l’implication du corps, à la naissance et la vie de ce
son.
Nous sommes aujourd’hui quelques uns, comme d’une
même famille, à poursuivre l’enseignement dans cette
voie. Parmi tous les musiciens qui ont eu la chance de le rencontrer
sur des laps de temps différents, je me considère comme
un heureux privilégié tel Obélix
tombé dans la marmite. Il fut mon second père.
J’ai cherché et hésité longtemps sur les
formulations qui me permettraient de perpétuer son enseignement
par écrit, sans dévoyer ses réflexions,
observations et préconisations. En effet, un mot défini,
lapidaire, peut malgré tout, rester polysémique et
parfois porter au contre sens. Cela, Robert Pichaureau en était
conscient et il s’est toujours refusé à figer les
résultats de ses recherches sous la forme d’une
méthode, malgré certaines propositions de grands noms
reconnaissant son travail. Il préférait
l’échange vivant du cours où l’écoute
avait autant d’importance que le discours. Ainsi à chaque
instant il pouvait modifier son vocabulaire afin de mieux
remédier à la difficulté en fonction de
l’élève présent. La remise en question est
permanente.
La pédagogie est un art vivant et dans le cadre du geste du
musicien, il est difficile de la codifier d’une manière
identique en direction des nombreux apprenants, socio-culturellement
différents et aux sensibilités multiples.
Cédant aux demandes de laisser une trace écrite, mais
dans le respect de sa volonté, c’est sous la forme
d’un témoignage écrit que je parlerai de mon
expérience avec le maître. J’ai eu la grande
chance, depuis l’âge de huit ans de vivre au
côté de Monsieur Pichaureau. Je n’ai reçu
l’enseignement que de lui et j’ai eu le bonheur de jouer
à ses côtés pendant de nombreuses années. Ma
leçon a duré quarante ans et j’essaie de la
poursuivre, sans le maître hélas, aujourd’hui.
Le présent prend ses racines dans l’histoire. Il est donc
intéressant de se pencher, rapidement, sur la genèse de
cette voie pédagogique ouverte par Monsieur Robert Pichaureau.
Musicien professionnel à la musique de l’air, au sein du
pupitre de bugle, portant déjà un intérêt
à la pédagogie, il rencontre lui-même des
difficultés dans son jeu. Juste après guerre, la
rencontre avec le jazz outre-atlantique et les facilités des
trompettistes, dans le suraigu l’interpellent. Cela
l’oblige à faire un retour sur l’enseignement
qu’il a reçu et active sa curiosité en direction
des musiciens américains et de leurs méthodes
d’approche de l’instrument. Il étudie de très
près les différents écrits, et base sa recherche
personnelle sur la synthèse de l’ensemble de ces
informations. Il en déduit que l’important se situe avant
l’exercice, représenté par l’écriture
musicale, et qu’il est préférable de se concentrer
sur les moyens et non sur le résultat. Il prend son corps en
mains et s’étudie de la tête aux pieds. Observation
extérieure, et surtout découverte par le ressenti des
sensations intérieures. Il avance pas à pas, il est
même contraint de suspendre son jeu durant quelques temps, ne
pouvant plus sortir un son. Il trouve des collègues
compréhensifs, lui permettant ainsi de n’être
qu’un figurant lors de services obligés.
Mais très rapidement son travail porte ses fruits, il
s’étonne d’une grande facilité de jeu, la
sonorité s’arrondit, le suraigu devient facile, la
souffrance disparaît, jouer de la trompette devient un plaisir.
Il commence à faire partager ses recherches auprès de ses
collègues qui veulent bien l’entendre, puis dans
l’univers de la variété. Sa notoriété
commence dès lors.
Professeur de trompette à l’école de musique de
Brétigny-sur-Orge dès 1956, avant d’en être
un temps le directeur, il remarque un gamin attendant dans un coin
qu’un professeur le prenne en charge. "Qu’aimerais tu jouer
comme instrument ?- de la trompette" ai-je répondu.
C’était en 1958 je n’ai quitté monsieur
Pichaureau que quarante ans plus tard, par la force des choses. Je suis
en quelque sorte sa création ou son cobaye, ne
représentant que sa seule éducation.
Ce petit rappel historique est important dans la mesure où
monsieur Pichaureau a évolué dans la transmission de ce
savoir. Beaucoup d’élèves sont venus prendre des
leçons avec le maître, pendant des laps de temps plus ou
moins longs et à des périodes différentes. Pour la
plupart il s’agissait d’une
rééducation. Moi, j’ai eu le privilège
de constater cette évolution sur l’ensemble de sa vie.
Un des moments forts est la constatation par le corps médical de
l’efficacité de la méthode de "no pressure".
Comprenez ici :
méthode qui ne présente pas l’appui sur les
lèvres comme un principe de base pour un jeu avec instrument
à embouchure. En 1984, un élève de trompette,
Jean François Guyot, étudiant en médecine dentaire
a choisi de soutenir sa thèse sur les problèmes
médicaux relatifs aux trompettistes. J’ai servi de
patient. L’ensemble des expériences fut
réalisé à la faculté Pitié
Salpetrière de Paris. Un extrait de ces expériences est
paru dans la revue Médecine des Arts n°8 (juin
1994). Notamment les graphiques d’un test comparatif sur un
exercice d’arpèges en do majeur du do grave au contre ut
puis retour au do grave, soixante à la noire.
- L’un avec Philip Jones effectué avec une langue à
plat, la pression constatée de l’embouchure sur les
lèvres varie en fonction de l’aigu, elle est de 3kg au
contre ut.
- L’autre avec moi effectué avec une langue collée
au palais, la pression constatée de l’embouchure sur les
lèvres augmente légèrement mais reste stable
jusqu’au retour au grave, elle n’est que de 0,5kg. La
superposition des deux courbes est éloquente. Un certain appui
est constaté mais il est peu important et reste malgré
tout, régulier malgré le dessin du graphisme musical.
Dans cette méthode pour l’élaboration du son, le
principe de transfert des connaissances est basé sur la vie
quotidienne de l’individu. Aucun pré-requis sur une
quelconque connaissance scientifique n’est nécessaire. Le
ressenti doit émerger d’une prise de conscience
d’actes naturels. Puis tel un calque, nous devons retrouver ces
mêmes sensations pour effectuer le geste musicien qui, lui,
n’est pas inné. Nous possédons en nous toutes les
informations utiles pour réaliser ce geste. Notre avancée
vers la réussite est tributaire de la qualité de notre
introspection. Le professeur montre le chemin et lève les
inhibitions.
Après ce préambule, nous allons nous pencher dans les
pages suivantes, sur l’approche pédagogique
elle-même et sa mise en œuvre "technique", en
détaillant les différentes sensations corporelles qui
doivent émerger d’une recherche personnelle de chaque
musicien.
© Alain Faucher 2006