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L'émission du son

Alain Faucher

Faisant suite à la prise de conscience de l’implication du corps, explicitée dans la page précédente, je parlerai de la gorge, autre élément important à considérer.

Pour ne pas ressentir de contractions et ainsi se fatiguer inutilement par un acte de "passage en force", celle-ci doit toujours être ouverte et non resserrée. Dès lors, la facture sonore paraît beaucoup plus souple et aisée. 
Pour comprendre cette sensation de gorge ouverte, il suffit de reproduire le début du bâillement, acte maintes fois répété naturellement par tout un chacun.
Autre possibilité pour ressentir l’ouverture de sa gorge, sucer un bonbon au menthol, le coincer entre les dents en aspirant l’air extérieur, pour se rafraîchir la cavité buccale puis le fond de la bouche, puis la gorge, en essayant de faire descendre la sensation de fraîcheur au plus profond de celle-ci.
Ce mouvement permet de prendre conscience des relâchements des différents muscles la constituant. Nous constatons une sensation semblable à celle d’une préparation à l’avalement d’une gorgée d’un de nos breuvages préférés. Le terme avaler est à choisir ici en opposition à celui de vomir. Cette sensation d’avaler est à garder en permanence pendant le temps de jeu instrumental. Elle est étroitement liée à la retenue du souffle dont nous avons déjà parlé dans les pages précédentes.
Pour aider au prolongement de la sensation, il est tout à fait possible de boucher le palais mou situé en fond de bouche, faisant suite au palais dur. On donne l’impression d’être enrhumé, et d’avoir le nez bouché. Si on teste l’exercice en parlant, on s’aperçoit rapidement qu’il devient impossible de prononcer correctement certaines syllabes comme "hein" "on". Par contre nous effectuons inconsciemment un travail compensatoire d’ouverture de gorge afin d’essayer de prononcer ces syllabes.  Pour s’entraîner, il est intéressant d’essayer de parler comme les ventriloques, en fond de gorge sans articulation visible sur le masque facial. La difficulté est de désolidariser les mouvements de langue, des muscles de la gorge. Nous allons comprendre un peu plus loin dès qu’il s’agira de faire fonctionner la langue, que celle-ci pourra alors articuler beaucoup plus facilement dès qu’elle bougera sans l’entrave "d’un courant d’air" et sans la volonté de s’exprimer à tout prix, en s’énervant et donc en articulant vers l’extérieur.

Comme annoncé dans l'introduction nous allons puiser notre expérience et notre savoir dans l’observation des actes de notre vie de tous les jours.
Portons notre attention sur la mise en oeuvre de notre expression vocale. Pour utiliser le langage parlé, nous utilisons ce que l’on appelle les voyelles et des consonnes.
Exercice1 :
Prononcez très longuement une voyelle comme par exemple [ O ] ou [ U ] tout en plaçant votre main à plat sur votre ventre, sur votre dos, puis au creux des reins. Répétez plusieurs fois  cet exercice en insistant sur la durée de la prononciation. Constatez alors, les mouvements conséquents de cet acte.
Exercice2 :
Prononcez une consonne utilisée dans le jeu instrumental comme [ t ]  ou [ k ]. Attention j’ai bien spécifié la consonne seulement (pas de [ té ] ou [ te ] mais simplement [ t ] ou [ K ]). Placez votre main sur votre corps comme précédemment pendant l’exercice avec les voyelles. Sa prononciation est obligatoirement brève. Constatez les mouvements résultants de cette prononciation.
Observations :
Dans le premier exercice, un mouvement du diaphragme, des muscles ventraux et dorsaux est facilement observable. (Rappel de l’expérience citée ici). Notre participation corporelle est assez importante.
Dans le deuxième exercice, l’ensemble du corps reste inerte sauf la partie langue qui "joue" avec le palais et éventuellement la gorge qui a tendance à se contracter.

On constate donc que le fondement du son parlé s’appuie sur le mécanisme de l’élaboration de la voyelle. Le mouvement de langue n’est qu’une articulation d’un débit régulier sans pour autant influencer la constance de ce débit. Il en est exactement de même pour la facture sonore instrumentale des instruments dits à vents.
Une image peut illustrer mes propos.
Considérons une phrase. Celle-ci est comprise entre deux virgules, c'est-à-dire début d’expiration, fin d’expiration. On peut s’imaginer une barre d’un seul tenant qui serait tranchée avec un fil à couper le beurre mais dont l’épaisseur ne serait pas coupée totalement. Autre image que j’emploie souvent devant mes élèves : celle du train. La phrase serait le train dont les wagons sont articulés. Si on détache un wagon, il ne fait plus partie de ce train donc de cette phrase. C’est ce travail sur cette réflexion qui permet de maintenir la continuité d’un phrasé malgré la nécessité d’une articulation éventuellement complexe (staccato, variations harmoniques…).

Voici un petit exercice concret, test pour nous aider à prendre conscience de cette énonciation.
-Dans un premier temps prononcez "Ta", attendez une seconde, redites "Ta" puis répétez le à la suite : "TaTaTaTaTaTa…..". Maintenez le dos de votre main sur le devant de la bouche.
Constatez : un courant d’air assez conséquent et quelques postillons sont ressentis. Voudriez-vous accélérer votre débit que ces effets augmenteraient et qu’une contraction de gorge se créerait.
-Dans un deuxième temps prononcez "At" puis redites le en effectuant une liaison entre chaque "at" : "atatatatatatat….". Maintenez le dos de votre main sur le devant de la bouche.
Constatez : vous ressentez un débit d’air bien moindre, plus régulier, vous pouvez plus facilement accélérer votre prononciation. Physiquement vous vous sentez plus à l’aise et l’on ressent déjà les prémices d’une ouverture de gorge.
Vous pouvez également réaliser la même expérience en disposant sur une feuille de papier, des confettis, le tout, placé à la sortie de votre bouche. Dans le premier exemple ils seront soufflés immédiatement. Dans le deuxième cas, le fait d’essayer de ne pas les faire envoler, nous conduit à une retenue de souffle instinctive. C’est ce mouvement interne que l’on doit tenter de mettre en pratique au moment du jeu instrumental. 
En réalité votre voyelle est dans le deuxième cas, beaucoup plus porteuse, la langue est moins contrainte, et l’expression de votre consonne se réalise par rebonds. D’ailleurs, si vous vouliez parler très vite, vous devriez adopter cette procédure afin de ne pas "en avoir plein la bouche" et finir par bafouiller.
Pour l’articulation dans le jeu instrumental il en va de même. La position de la langue est primordiale. Au départ de l’action celle-ci doit s’observer dans sa position naturelle, dans une cavité buccale non crispée : les dents des deux mâchoires se frôlent, la langue est relâchée, nous la ressentons épaisse. Les bords de celle-ci touchent les molaires supérieures, le bout de langue touche les incisives de la mâchoire inférieure (concerne les musiciens jouant d’un instrument à embouchure). Le dos de la langue épouse la forme du palais. En fait la langue est positionnée de manière à prononcer la syllabe "Kiiiii".
Dans les débuts de l’apprentissage d’un instrument dit à vent, une vigilance et une prudence sont requises, quant à la mise en œuvre de la production sonore instrumentale. Beaucoup de musiciens sont pressés d’obtenir un joli son, propre, net, et sonore. La consonne [t] va malheureusement souvent servir de déclic. J’appellerai celle-ci : "illusion" ou cache misère, parce que l’utilisation du processus à mettre en œuvre la voyelle ne sera pas, ou mal considéré. Faîtes l’expérience : après quelques secondes de silence, dites "ta" vous constaterez, qu’à cet instant la langue se décolle puis se recolle. D’où un danger extrême à se polariser et à mettre sur un piédestal ce fameux "t" de départ, car à lui seul il provoque la réunification de toutes les tensions.

Monsieur Pichaureau (cf. introduction) en avait vite déduit qu’un apprentissage de l’instrument ne devait pas commencer par une émission articulée. Il avait lui-même beaucoup souffert du "Tu qui tue" disait-il. La préconisation est de débuter par une émission voyelle du type " U" et seulement après avoir ressenti, et pris conscience de l’implication du corps pour la réalisation de celle-ci que l’on peut commencer à articuler et non pas l’inverse.

Nous poursuivrons dans la page suivante, avec les lèvres, la pince, et nous parlerons du premier contact extérieur représentant l’instrument.

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© Alain Faucher 2006