L'art de la trompette baroque
(publié dans la revue Pour la Science de juin 1986)

Les recherches sur l'histoire et la physique de cet instrument longtemps délaissé, permettent aux trompettistes actuels de retrouver le jeu des instrumentistes des XVIIe et XVIIIe siècles.

par Don Smithers, Klaus Wogram et John Bowsher.

On assiste actuellement à un regain d'intérêt pour la musique baroque et, par conséquent, pour les techniques vocales et instrumentales de l'époque ; de nombreux ensembles instrumentaux d'Europe et d'Amérique du Nord s'efforcent de jouer la musique des XVIIe et XVIIIe siècle selon les vraies techniques baroques, sur des instruments originaux ou soigneusement copiés. Or, cette volonté ne va pas sans poser des problèmes considérables, car elle requiert des connaissances scientifiques et historiques très importantes, au moins autant que la restauration d'un tableau ou d'un monument.

On sait maintenant utiliser la plupart des instruments baroques dont il reste des originaux. Toutefois, certains d'entre eux ne livrent leurs secrets que très progressivement et il est très difficile de jouer de ces instruments de façon aisée et historiquement exacte. C'est notamment le cas de la trompette baroque, le moins connu de tous ces instruments parce que la remise en service d'un instrument ancien n'est facile que s'il a existé un minimum de continuité et une certaine pérennité des techniques utilisées, aussi bien dans le domaine du dessin et de la conception de l'instrument que dans celui du jeu. Quand un instrument a été abandonné pendant longtemps, la plupart des techniques de jeu en ont été perdues, et ne peuvent être retrouvées qu'au prix d'un travail long et difficile. Or, actuellement, on ne fabrique plus les trompettes baroques de la même façon qu'aux XVIIe et XVIIIe siècles ; les techniques de jeu ont donc évolué en conséquence.

À la différence de la trompette moderne, la trompette baroque était dépourvue de mécanismes (pistons, clefs ou trous latéraux correctifs, par exemple) qui permettent d'émettre une gamme complète sur l'ensemble des registres. En fait il s'agissait tout simplement d'un long tube métallique replié ou enroulé, assez proche du clairon moderne : la longueur de la colonne d'air était donc invariable. Par conséquent, l'instrumentiste ne disposait que des seules notes pouvant être émises à partir d'une colonne d'air fixe, c'est-à-dire les partiels. C'est pour cette raison qu'on qualifie parfois les trompettes baroques et les cors, d'instruments naturels.

Fondamentale et partiels

Ainsi limité aux seuls sons naturels (les partiels), le trompettiste devait utiliser un instrument de longueur et de forme appropriée, et recourir à certaines techniques instrumentales, en vue d'obtenir un nombre suffisant de partiels pour former une gamme. Il fallait pour cela un tube de près de 2,5 mètres de longueur (un tube plus court n'aurait pas produit un nombre suffisant de partiels). Comme un tel tube a pour fondamentale (ou note la plus basse) un do1 (c'est-à-dire deux octaves au-dessous du do médium d'un piano), la trompette produisait une série discrète de partiels à partir de cette note, également appelée premier partiel, ou son 1 (voir la figure 1).

On peut altérer la hauteur de la fondamentale en modifiant la longueur du tube, ce qui change du même coup la hauteur des partiels. Le trombone est un exemple d'instrument à vent en cuivre à fondamentale variable. En déplaçant la coulisse, l'instrumentiste change la longueur de la colonne d'air, de même que la hauteur des séries des partiels : il obtient ainsi une gamme complète de sons. Les pistons de la trompette moderne et des cors remplissent la même fonction.
La trompette baroque pose problème en ce sens que plusieurs notes de la série de partiels ne sont pas justes dans le cadre du tempérament actuellement en usage en Occident. C'est là le principal obstacle au réapprentissage de cet instrument traditionnel. En particulier, les partiels compris entre le sixième et seizième, qui sont des nombres premiers (divisibles sans reste seulement par eux-mêmes et par un), ne sont pas justes dans presque tous les standards des tempéraments musicaux occidentaux : le septième partiel (et donc également son octave) est trop bas, le onzième n'est ni un fa4 ni un fa4 dièse, et la treizième n'est ni un la4 ni un sol4 dièse.

De plus, des notes comme ré3, fa3, la3 et si3 naturels, do4 dièse et de mi4 bémol, qui apparaissent pourtant très souvent dans les partitions écrites pour les instruments de cette époque, ne se retrouvent nullement dans la série de partiels de fondamentale do1. Les trompettistes baroques devaient donc recourir à des artifices pour les jouer sur des instruments qui, dans des circonstances normales, ne produisent que la série de partiels décrite plus haut. Pendant longtemps d'ailleurs, on a cru qu'il s'agissait d'erreurs de transcription, ou bien que ces notes devaient être jouées à l'aide d'un instrument à fondamentale variable, comme le trombone à coulisse. Toutefois, des enregistrements et des concerts récents ont montré qu'il est effectivement possible de produire toutes ces notes justes et avec une intensité suffisante, sur des trompettes baroques parfaitement authentiques. Les compositeurs de l'époque baroque savaient donc bien ce qu'ils faisaient.



Figure 1. Cette série de partiels, à partir d'une fondamentale (la note la plus grave) do1, c'est-à-dire deux octaves au-dessous du do médium d'un piano, indique la gamme des notes de la trompette baroque, faite d'un tube de près de 2,5 mètres de long. Cet instrument produisait donc une série discrète de partiels (en noir), au-dessus de la fondamentale. Certaines notes (en couleur), fréquemment utilisées dans les pièces pour trompette baroque du XVIIe et XVIIIe siècles, n'apparaissent pas dans cette série. Il semble donc que les trompettistes de cette époque parvenaient à les jouer en dépit du ton fixe de l'instrument.

Le musicien allemand du XVIIIe siècle Johann Ernst Altenburg fut le dernier compositeur qui a eu une expérience directe des difficultés d'utilisation de la trompette baroque. Il a écrit qu'il fallait donner aux trompettistes des instructions non seulement théoriques mais aussi pratiques pour « qu'ils tiennent compte de ces notes manquantes ou désaccordées, et parce que cet instrument tend à demeurer un mystère, plus que d'autres qui sont plus perfectionnés ». Des recherches scientifiques récentes (les premières dans ce domaine) visent à éclaircir quelque peu ce mystère. Il s'agit de rassembler un corps de données permettant une meilleure compréhension des difficultés techniques que pose l'emploi de la trompette baroque à ton fixe, telle qu'elle était utilisée dans d'innombrables œuvres de Purcell, Bach, Haendel et de nombreux autres compositeurs baroques. Ces recherches mettent en valeur le lien indéfectible qui unit la science et la pratique.

Les anciennes études portaient principalement sur les propriétés acoustiques propres de l'instrument et l'on n'accordait que peu d'attention aux éléments périphériques comme l'embouchure et l'instrumentiste lui-même. Les mystères de la trompette baroque ne peuvent être levés que par l'étude des interactions de ces trois éléments car on sait que le joueur peut modifier considérablement les qualités acoustiques des sons produits, à l'aide de ses lèvres, ses dents, sa langue, sa cavité buccale et sa gorge, quelles que soient les caractéristiques propres de l'instrument.

Le rôle de l'instrumentiste

Ce qui se passe dans les régions situées en amont (c'est-à-dire derrière), et en aval (c'est-à-dire devant) les lèvres vibrantes est tout aussi important ; les environnements antévibratoires et postvibratoires ne sont pas mutuellement exclusifs mais interactifs : le son n'est pas déterminé seulement par les vibrations du volume d'air limité par les lèvres du joueur et l'extrémité évasée de l'instrument. Au contraire, les vibrations des lèvres déclenchent aussi des régimes d'oscillations dans la cavité buccale de l'instrumentiste ; un grand nombre d'études actuelles portent sur le mode d'interaction de ces résonances. Les données préliminaires montrent clairement que cette interaction joue un rôle important, quoiqu'encore inexpliqué, dans la production et le contrôle de certaines notes, notamment dans les registres médium et supérieur de l'instrument.

Par exemple, tout bon joueur de cuivre sait émettre des trilles sur les notes prolongées, sans aucune aide mécanique (telle que les pistons ou les clefs), mais grâce à des mouvements rapides de la langue et des muscles de la gorge. Sans comprendre nécessairement la théorie sous-jacente, l'artiste expérimenté altère par ce moyen les résonances postvibratoires, modifiant par là même le son engendré par l'instrument. Il est donc incorrect de parler de trilles labiaux car les fluctuations des résonances en amont les lèvres (c'est-à-dire dans les régions antévibratoires) suffisent à altérer la dynamique de la colonne d'air postvibratoire (à l'intérieur de l'embouchure et de l'instrument). On obtient des effets comparables par des déplacements de l'appareil vibratoire lui-même, soit en donnant des secousses brèves et répétées avec l'embouchure sur les lèvres, soit par un certain mouvement de la mâchoire inférieure. Toutefois, ces techniques sont généralement insatisfaisantes, car elles n'ont pas la précision des variations subtiles qu'on obtient en jouant avec les résonances antévibratoires à l'intérieur de la bouche et du conduit respiratoire.

À la différence des autres types d'instruments de musique, les cuivres n'ont pas d'oscillateur propre : le son est créé par les vibrations des lèvres du joueur, qui modulent, à leur tour, l'air contenu dans tout le système. C'est pourquoi l'influence de l'instrumentiste sur les paramètres acoustiques comme la sonorité et la justesse est très sensible pour ce type d'instrument. On représente la combinaison du joueur, de l'embouchure et d'un instrument à vent de la famille des cuivres par un modèle analogique électrique simplifié de ces trois composants (voir la figure 2). Selon la théorie, les lèvres du joueur ne peuvent entrer en vibration que si les impédances acoustiques postvibratoires et antévibratoires sont de même amplitude, mais de phase opposée. Comme cette condition est facilement remplie avec un instrument, le joueur exerce un contrôle très précis sur les vibrations par de petits ajustements des impédances antévibratoires.

Au contraire, lorsque le joueur fait vibrer ses lèvres à l'air libre ou contre l'embouchure seule, les impédances postvibratoires correspondent à celle de l'air libre ou à celle de l'embouchure. Dans ce cas, l'instrumentiste doit effectuer des corrections importantes sur les impédances pour entretenir le mouvement vibratoire. Une simple estimation de l'amplitude des oscillations montre l'importance des impédances que l'instrumentiste commande avec sa bouche, par rapport à celles de l'instrument lui-même.



Figure 2. Ce circuit électrique constitue un modèle de l'interaction du joueur, d'un instrument à vent de la famille des cuivres et de son embouchure. La pression continue, provenant des poumons par l'intermédiaire du pharynx et du conduit vocal, est représentée par l'impédance en série. Cette impédance tient compte de tous les paramètres sous la dépendance du joueur, comme par exemple l'ouverture des joues et la position de la langue. Les lèvres se déplacent alternativement vers l'intérieur et vers l'extérieur de l'embouchure, ce qui fait varier la pression de l'air à cet endroit et engendre le déplacement de l'air. La résistance représentative de l'ouverture des lèvres varie avec le temps : très faible lorsque les lèvres s'écartent pour produire des notes graves, infinie lorsqu'elles sont complètement fermées. Cette variation cyclique de grande amplitude entraîne la formation d'ondes de pression caractéristiques que l'on trouve dans l'embouchure.

Le paramètre le moins connu du jeu des instruments de la famille des cuivres en général, et de la trompette baroque en particulier, est la dynamique des lèvres du joueur. C'est là un regrettable paradoxe dans la mesure où les lèvres sont à la base de la production du son dans n'importe quel cuivre. Il s'agit donc d'étudier la relation non linéaire entre le débit d'air par un orifice et la pression au niveau de cet orifice ; l'orifice entre les lèvres étant d'autant plus réduit que les notes sont aiguës. L'élévation de la fréquence correspond à une augmentation très rapide et disproportionnée de la résistance, et à une réduction simultanée de la masse vibrante, de l'aire de la source des vibrations et de l'amplitude.

Il en résulte une différence fondamentale entre les notes jouées sur une embouchure large et les notes jouées sur une embouchure étroite, différence qui apparaît clairement lorsqu'on joue de la trompette baroque selon la technique ancienne. En effet, avec une grande embouchure à bord plat, on peut atteindre les notes les plus élevées du registre « clarino » (au-dessus du douzième partiel), qui exige des surfaces de vibrations labiales différentes de celles des notes graves du registre « basso ». On notera que la colonne d'air et l'embouchure de la trompette baroque sont de dimensions comparables à celles du trombone, mais que le registre clarino de la trompette est supérieur d'au moins une octave aux plus hautes notes jouées par les trombonistes actuels.


Figure 3. Le rôle des lèvres dans le jeu d'un instrument à vent du type cuivre apparaît clairement sur ce schéma, où P est la pression des poumons, Pm la pression dans la bouche du joueur, KL la force de tension musculaire des lèvres, Km la force de l'air comprimé sur les lèvres, à l'intérieur de la bouche, FL la fréquence de vibration des lèvres et t le temps. Chaque lèvre correspond donc à un système vibratoire composé d'une masse et d'un ressort (a). Les lèvres se comportent comme deux clapets, qui tendent à se refermer sous l'influence du « ressort » constitué par les muscles des lèvres (b). La pression de l'air augmente à l'intérieur de la bouche jusqu'à ce que la force Km dépasse la force KL ce qui déclenche l'ouverture des lèvres et libère une partie de l'air (c). La baisse de pression qui en résulte entraîne le resserrement des lèvres (d), qui fait remonter la pression interne, puis un nouvel écartement des lèvres, et ainsi de suite. Il se produit ainsi un régime d'oscillations avec variation périodique, dans le temps, de l'écartement des lèvres (e). Si la masse et la tension des lèvres, ainsi que la pression interne, sont constantes, le temps de relaxation décroît avec la diminution du volume de la cavité buccale. Le joueur modifie ce volume en déplaçant sa langue, vers le bas pour les notes graves, ou vers le haut et vers l'avant pour émettre les notes aiguës.

Les techniques utilisées par les trompettistes baroques pour émettre ces notes n'ont que peu de rapports avec celles des trompettistes modernes. Comme la plupart des embouchures actuelles sont beaucoup plus étroites que celles du XVIIe et du XVIIIe siècles, les notes les plus aiguës s'obtiennent généralement par pression des lèvres sur l'embouchure, pouvant aller parfois jusqu'à l'écrasement, comme si l'air se frayait un passage entre les lèvres pincées. Or cette technique fatigue beaucoup les muscles labiaux et est probablement responsable de la détérioration des lèvres constatée chez certains trompettistes.

L'imitation du chant

Comme le tissu vivant des lèvres est la seule source de son pour un instrument à vent de la famille des cuivres, il existe une forte corrélation entre le jeu de la trompette baroque et le chant. Les lèvres du trompettiste jouent le même rôle que le larynx du chanteur, ce qui fait que les techniques pour atteindre le registre clarino sont très similaires à celles utilisées par une soprano coloratura ; aussi un grand nombre de manuels d'apprentissage des cuivres insistent sur la nécessité d'apprendre simultanément les techniques du chant. Un auteur du XVIIIe siècle conseille ainsi, pour jouer dans le registre clarino, de penser continuellement son jeu en termes de chant et de chercher autant que possible à imiter une belle voix.

Les joueurs de cor, de trombone et de trompette savent qu'il existe une grande similitude entre les voyelles a et i du chant et la production des notes du registre grave (g) au registre aigu (i) d'un cuivre. La trompette baroque semble particulièrement sensible aux modifications subtiles des résonances antévibratoires, que ce soit à cause de la longueur du tube de l'instrument (près de 2,5 mètres) ou à cause d'un ensemble de caractéristiques acoustiques, dont celles de l'embouchure. Pour produire des notes dans le registre basso (le plus grave), il faut que le trajet de l'air soit bien dégagé, la langue abaissée comme pour chanter un a, et les lèvres aussi libres et relâchées que possible. Pour les notes aiguës, en revanche, la langue doit être relevée au maximum contre la voûte du palais, comme pour émettre un i, afin de ne laisser passer qu'un filet d'air dans la cavité buccale. Il faut également que les lèvres soient légèrement sous tension.


Fifure 4. Variations de la pression alternative à l'intérieur de l'embouchure d'un trombone mesurées par une sonde microphonique, représentées de haut en bas pour les notes si1, si1 bémol, fa3 et si3 bémol. La ligne zéro dans l'échelle des pressions correspond approximativement à la pression atmosphérique.

L'examen au stéthoscope de joueurs de trompette baroque montant la gamme, du registre le plus grave au plus aigu, confirme l'effet de ces résonances antévibratoires. En effet, les notes graves résonnent avec plus de force dans la région laryngée et la partie supérieure des bronches, tandis que les hautes fréquences atteignent leur puissance maximale dans la partie la plus haute de la gorge et sous le menton. Les sons qu'on a mesurés au niveau des joues et de la partie osseuse proche de la région nasale peuvent résulter de la vibration de l'air dans la cavité buccale et de la propagation du son des lèvres aux dents et vers la partie supérieure de la joue.


Figure 5. Spectres sonores pour des do3 obtenus par deux techniques différentes. À gauche, le joueur n'a utilisé que ses seules lèvres, sans instrument ni embouchure. À droite, il a utilisé une trompette naturelle. Le graphique du haut correspond à une grande ouverture (la langue basse et en arrière) et le graphique inférieur correspond à l'ouverture minimale (langue haute et en avant).

Les déplacements de la langue affectent également le timbre des sons d'un cuivre. Ce phénomène apparaît nettement sur les spectres sonores obtenus pour différents modes de production des sons (voir la figure 5). Ainsi, un do4, enregistré à un mètre en face d'un joueur faisant vibrer ses lèvres sans instrument ni embouchure, a un spectre analogue à ceux des notes aiguës ou graves produites par une guimbarde. Le nombre des partiels augmente avec l'élévation de la langue contre le palais, dans la position du i (qui réduit le volume de résonance dans la bouche). Inversement, ce nombre diminue avec l'abaissement de la langue dans la position du a (qui augmente le volume de résonance). Parallèlement, le souffle (ou le « bruit ») croît, comme le prouve l'augmentation de 20 décibels du niveau sonore aux fréquences supérieures à six kilohertz. Ceci est dû au fait que la fréquence de résonance de la cavité buccale augmente avec la montée de la langue, ce qui s'accompagne d'une plus grande turbulence et d'une diminution du déplacement des lèvres.


Figure 6. Spectres sonores moyennés sur l'étendue de deux octaves pour quatre instruments. Ces instruments sont, dans l'ordre, une trompette baroque en do (a), une trompette baroque en ré enroulée, la tromba da caccia (b), une trompette piccolo moderne en si b (c) et un cornet en la avec trous correctifs (d). La figure montre bien les différences entre la trompette baroque et la trompette piccolo qu'on lui substitue souvent. Ces différences expliquent pourquoi les pièces pour trompette baroque n'ont pas la brillance et la clarté nécessaires lorsqu'on les joue sur des trompettes piccolo, quatre fois plus courtes que l'instrument envisagé par les compositeurs.

On obtient des spectres semblables lorsque le joueur ne fait plus vibrer ses lèvres à l'air libre, mais souffle dans une trompette dans les mêmes conditions (voir la figure 6). L'agrandissement de la cavité buccale par abaissement de la langue donne un son plein et brillant, riche en partiels et pauvre en bruit, en raison de l'importance des vibrations et de la grande amplitude du déplacement des lèvres. Au contraire, la réduction du volume de la bouche par élévation de la langue produit un son plus rauque, avec une coloration nasale trop apparente. Pour obtenir des notes stables dans le registre clarino (le plus élevé), il est nécessaire de réduire le plus possible le volume de la bouche, mais on n'obtient pas toujours ainsi une coloration satisfaisante du son.

L'embouchure

L'embouchure est, après l'instrument lui-même, l'élément le plus important dans le jeu d'un cuivre. Elle fait partie intégrante de l'instrument, et a autant d'importance que lui dans la détermination des maxima d'impédance acoustique (rapport de la pression à la vitesse de déplacement pour une surface donnée), et d'une courbe d'intonation convenable (courbe qui représente les valeurs des fréquences jouées), notamment au-delà du sixième partiel. Il faut donc que l'embouchure corresponde bien à l'instrument. De plus, comme nous l'avons déjà souligné, l'instrumentiste fait lui-même partie du système émetteur et l'embouchure doit lui être adaptée autant qu'à l'instrument ; l'embouchure constitue donc l'interface entre le joueur et son instrument.

Pour toutes ces raisons, l'embouchure est une des pièces les plus personnelles, encore plus pour la trompette baroque que pour les autres cuivres en raison de l'étendue de la gamme à couvrir. En effet, le registre le plus bas (ou basso) est identique à celui du trombone, tandis que le registre le plus élevé (clarino) est souvent au-dessus de la limite normale d'une trompette moderne, laquelle est déjà supérieure d'une octave à la limite supérieure du trombone, et supérieure d'au moins une quinte à celle du cor d'harmonie.

D'après les nombreuses embouchures de trompettes baroques qui nous sont parvenues, on peut penser que les joueurs, tout comme les facteurs, attachaient beaucoup d'importance à la conception et à la construction des embouchures. Il n'en existe pas deux pareilles, car elles devaient correspondre aux sensations et à la structure faciale de chacun, ainsi qu'à son instrument. Un joueur moderne peut apprendre à utiliser des embouchures différentes, généralement à raison d'une seule à la fois pendant un temps assez long. Cela ne va toutefois pas sans risques pour l'appareil neuromusculaire, très sensible, qui engendre le son (formé par les lèvres, le cou et les muscles faciaux). Un joueur expérimenté préfère toujours, dans la mesure du possible, une embouchure adaptée à sa morphologie et qui donne la meilleure réponse acoustique.

Si chaque embouchure de trompette baroque est une pièce unique, il existe toutefois des traits communs à toutes. La plupart d'entre elles sont plus grandes que les plus grandes embouchures de trompettes modernes. De plus, les méthodes de datation montrent que celles du XVIIe siècle sont plus grandes que celles du XVIIIe siècle. Plus important encore, leur forme, différente de celle des embouchures modernes, permet non seulement une plus grande résonance dans l'émission des partiels très graves, mais aussi une meilleure définition pour les partiels supérieurs, et assure un meilleur contrôle pour les notes non harmoniques.

De plus, la forme particulière de certaines embouchures de trompettes baroques fait mieux ressortir les fréquences les plus aiguës. Comme la colonne d'air de 2,5 mètres donne une fondamentale très grave, on obtient pour chacune des notes émises un spectre beaucoup plus riche et étendu que celui des trompettes modernes, beaucoup plus courtes. La trompette piccolo à pistons actuelle, couramment utilisée dans les concerts de musique baroque, n'a qu'une soixantaine de centimètres de longueur, et donne par conséquent des sons moins riches en harmoniques. Le dernier paramètre, mais non des moindres, de l'équation du jeu de la trompette baroque, reste l'instrument.

L'instrument lui-même et l'importance de sa fabrication

Il est étrange de constater que malgré la perfection des pièces fabriquées à la machine par rapport aux pièces irrégulières faites à la main à l'époque baroque, ces anciens instruments sont beaucoup plus faciles d'emploi et beaucoup mieux accordés que leurs équivalents modernes. Des recherches acoustiques récentes montrent que l'intonation d'un instrument (définie par les valeurs des fréquences de résonance) dépend presque exclusivement de la forme des parois internes de la colonne d'air. D'autre part, la réponse d'un instrument dépend presque exclusivement de ce qu'on appelle le facteur de qualité de la résonance, d'autant plus élevé que la surface interne est plus lisse. Le métal utilisé intervient également dans une certaine mesure.

Les trompettes baroques, originales ou modernes, sont formées de tubes cylindriques raccordés (enroulés ou repliés) terminés par une section évasée tronconique. Dans les reproductions modernes, la surface interne est lisse et régulière, ce qui donne des résonances dont le facteur de qualité est très élevé. Comme il n'existe pas de relation particulière entre les fréquences de résonance et les composantes harmoniques du son, les instruments modernes ont moins de variabilité de justesse que les originaux des XVIIe et XVIIIe siècles : il est donc plus difficile de jouer juste avec eux.

Les différentes parties des anciens instruments étaient déjà faites, comme maintenant, de feuilles de cuivre, mais ces feuilles étaient martelées à la main sur des cylindres d'acier et non comme aujourd'hui par des machines. Cette technique entraînait des irrégularités de la surface interne, qui s'ajoutaient à l'imperfection du diamètre des tubes et à leur ajustement imparfait, ainsi qu'à un manque de symétrie des parties courbées. Il en résultait une baisse du facteur de qualité des résonances et un élargissement des pics de résonance. En conséquence, le joueur d'une ancienne trompette baroque pouvait modifier les partiels naturels, ce qui lui permettait de jouer juste sans trop altérer la couleur sonore et la réponse. Les constructeurs modernes ne peuvent parvenir à ce résultat qu'en ajoutant des « évents » (ou trous latéraux) que le joueur utilise pour corriger la hauteur de certaines notes. C'est non seulement une falsification des règles historiques, mais aussi un compromis, en forme d'aveu d'impuissance, entre les paramètres acoustiques spécifiques et les techniques de jeu souhaitées. Or, on ne pourra faire revivre l'art traditionnel de la trompette baroque que lorsqu'on saura appliquer ces règles historiques aux trois paramètres de l'équation, que sont le joueur, l'embouchure et l'instrument. ■