Version originale au format PDF (3,8 Mo)

Tout est dans la perce !
par Richard A. Smith PhD
Rapport sur les travaux entrepris par l'auteur
en collaboration avec John Bowsher et Andy Watson
de l'université de Surrey, publié dans le ITG Journal de mai 1988.


La forme de perce du résonateur est le facteur principal qui détermine les caractéristiques musicales d'un instrument de la famille des cuivres. Les sons produits à partir de deux tuyaux de la même longueur et de formes de perce différentes peuvent être identifiés par la plupart des auditeurs, par exemple. : bugle/trompette ou euphonium/trombone. Le premier de chaque paire a une perce conique tandis que le second inclut une grande proportion (environ 30 %) de tube cylindrique.
Les variations à l'intérieur d'un type d'instrument, par exemple. la trompette, ne sont pas aussi évidentes. Chaque trompette a sa propre identité ou son "empreinte sonore", et plusieurs scientifiques se sont donné comme objectif de mesurer cette propriété et de la relier au jugement subjectif des instrumentistes.
Les sons produits par différents instruments ont été analysés par des ordinateurs puissants, et des mesures physiques telles que l'impédance ont été faites, tout cela avec un succès limité. Ces méthodes ne permettent pas de distinguer deux instruments jugés "bons mais différents" et arrivent même difficilement à montrer une différence un "bon" et un "mauvais". La science a encore un long chemin à faire avant d'égaler le jugement d'un instrumentiste expérimenté. Des essais récents en aveugle à grande échelle (réalisés par l'auteur) aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne ont prouvé que l'instrumentiste éclairé peut détecter des différences subtiles entre de bons instruments professionnels de marque réputée avec un degré élevé de fiabilité (les différences entre pays ne sont pas significatives). À partir de ces résultats, nous avons développé une gamme complètement nouvelle de trompettes en collaboration avec Derek Watkins.
Une étude des fabricants de plusieurs pays montre que la plupart d'entre eux acceptent que leurs instruments de mêmes specifications nominales puissent présenter des caractéristiques de jeu différentes. Ceci est illustré par le fait que les instrumentistes qui ont accepté de promouvoir leurs produits sont invités à choisir un instrument à l'usine. Et l'instrumentiste ordinaire qui veut acheter un instrument à un marchand spécialiste a de la chance s'il peut choisir parmi cinq ou six instruments pour en trouver un qui soit supérieur.

Figure 1. Réponse impulsionnelle de deux trompettes
Comparaison entre instruments.
C'est dans ce contexte qu'une technique de mesure par impulsions a été mise au point pour comparer des instruments entre eux plutôt que pour aller plus loin avec des mesures dans l'absolu. Si une impulsion acoustique est envoyée par l'embouchure d'une trompette, elle cheminera par la perce jusqu'à l'extrémité ouverte (le pavillon) de l'instrument. Là, la majeure partie de l'impulsion sera renvoyée à l'intérieur vers l'embouchure (la partie qui s'echappe du pavillon peut être entendue). En chemin, de petites parts de l'impulsion sont réfléchies plus tôt par les obstacles qu'elle rencontre, comme des raccords entre tubes, des défauts d'alignement des pistons ou des débris de soudure ou de polissage. Les réflexions sont détectées par un microphone placé près de l'embouchure et affichées sur un écran à la manière d'une image de radar au sol. L'amplitude verticale de la courbe indique la quantité de réflexion et sa position horizontale montre où elle se produit à l'intérieur de la trompette (distance à partir de l'embouchure). La courbe elle-même n'indique rien de plus qu'une perce "lisse" ou "irrégulière" comme le montrent les mesures des réflexions pour une trompette anglaise et une trompette japonaise sur la figure 1. Le fait que l'une d'entre elles (la Smith-Watkins) ait des réflexions plus faibles est cohérent avec le constat d'une émission plus facile. Pour des mesures plus précises il faudrait pouvoir comparer à une norme. Il n'existe aucun instrument absolument parfait, aussi il faut choisir un étalon pour le comparer avec les instruments à tester. La courbe de réflexion de chaque instrument examiné est soustraite de celle de l'étalon et ainsi les différences de forme de perce apparaitront. Dans une situation de production, les courbes de tous les instruments testés peuvent être enregistrées sur disque avec leurs numéros de série et être ressorties ultérieurement si un client voit se développer un défaut (figure 2).
La sensibilité de l'appareil s'améliore au fur et à mesure du développement du projet. Il est possible de détecter la position d'une boule de soudure la taille d'une tête d’épingle dans un diamètre de perce de 12 mm. Les débris ou les inexactitudes de perce de cette taille ne sont souvent pas évidentes à détecter, même à l'aide de lumières et de miroirs, comme le montre l'exemple suivant.

Figure 2. Procédure de comparaison entre instruments

Figure 3. Comparaison de deux trompettes en Sib semblables. La courbe montre la différence de réflexions entre l'instrument étudié et l'instrument de référence.



Figure 4. Le pavillon découpé et ouvert fait apparaitre
des agglomérats provenant de l’argenture
Un instrumentiste renommé a été prié de choisir une bonne trompette parmis plusieurs instruments "identiques" pour une commande importante à l'export. Avec sa compétence il pouvait évaluer les instruments du "bon" au "mauvais." La "mauvaise" trompette était jouable mais ne répondait pas bien. Une inspection visuelle n'a montré aucune différence, aussi elle a été comparée au "bon" instrument par la technique d'impulsion. La courbe de différence (figure 3) a mis en évidence une obstruction significative située à 850 mm de l'embouchure, c.-à-d., dans la courbure de pavillon. Alors que cette méthode de test est prévue pour être non destructive, il était trop tentant d’ouvrir le nouvel instrument argenté pour voir ! Des agglomérats d’argent épars ont été trouvés à la position indiquée par l'ordinateur (figure 4). Cet instrument et d'autres comme lui auraient été normalement mis en vente, mais si le fabricant avait employé cette méthode de test, un remède simple aurait traité le problème.

Alignement des pistons
Un défaut commun à tous les instruments à pistons, qui produit certaines des plus fortes réflexions, est provoqué par un mauvais alignement des tubes internes des pistons par rapport aux orifices correspondants dans le corps de l'instrument. Ce peut être dû à un usinage ou à des soudures approximatifs, mais résulte le plus souvent d'un manque d'attention à l'épaisseur des amortisseurs supérieurs et inférieurs. Les instruments de haut de gamme doivent minimiser ces erreurs pour un réglage optimum des pistons. Avec trois pistons, une trompette a vingt-quatre paires d'alignements d’orifices ; un bon bricoleur avec une lampe d’inspection peut en voir trois par la deuxième coulisse et un ou deux de plus par la troisième (Avec un tuba à quatre pistons à compensation, il ne pourrait vérifier aucune de ses soixante paires !)
En utilisant le dispositif à impulsions, on a appuyé le deuxième piston de la trompette Smith-Watkins pour déterminer l'effet de divers degrés de déviation d'alignement. La figure 5 montre qu'une erreur de 0.25 mm est aisément discernable. Même avec cet appareil de base la précision semblerait suffisante dans la plupart des cas, et il y a manifestement la possibilité, en augmentant le taux d’échantillonnage et l’échelle de l'axe horizontal, de localiser immédiatement une anomalie particulière. La précision de chacun des vingt-quatre alignements serait vérifiée en quelques minutes.

Figure 5. Effet d'un appui progressif du 2ème piston









Figure 6. Reconstitution de la perce de deux trompettes
(pavillon non compris) à partir de leurs réflexions.

Reconstitution de la perce
En utilisant une transformée de Fourier et un algorithme approprié, il est possible de calculer la forme de perce d'un instrument à partir de sa réponse aux impulsions. Les signaux temporels représentés sur la figure 1 sont les transformés de Fourier dans le domaine des fréquences, et, en choisissant un taux d’échantillonnage approprié, le filtrage peut être évité. Un algorithme conçu pour le tractus vocal a été ensuite appliqué à la réflectivité d'impulsion résultante pour donner les résultats représentés sur la figure 6. La différence dans la continuité de perce entre les deux instruments est maintenant évidente.

Au sujet de l'auteur : Richard Smith a écrit une thèse de doctorat sur l'acoustique de la trompette avant de rejoindre Boosey et Hawkes, où il a travaillé douze ans en tant que concepteur en chef et directeur technique responsable de la gamme de cuivres mondialement célèbres Besson. Il a conçu plusieurs instruments Besson Sovereign, y compris les trompettes originales employées par Derek Watkins et John Wallace.
En plus de la construction de trompettes pour des instrumentistes de premier plan, il est maintenant Chercheur Associé à l'université du Surrey. Ses travaux de recherche en acoustique, mesure et développement des cuivres ont été largement publiés, et il a voyagé en Europe, aux États-Unis et au Japon, testant les instruments de musiciens professionnels symphoniques ou de studio de haut niveau.
Le Dr. Smith est également un musicien accompli et joue régulièrement du contrebasson à Londres.
Pour de plus amples informations, écrire à : Dr. R. A. Smith, Richard Smith Musical Instruments Ltd, 110 The Vale, N146AY, Royaume-Uni.

Traduit en janvier 2004 par Joël Eymard pour le site web "Tout sur la trompette"