Elargissement de la tessiture d’un bugle en remplaçant le ton d’accord par une extension le faisant passer de Sib à Mib grave

Par Alain Koster, enseignant-chercheur honoraire en physique à la Faculté des Sciences d’Orsay, musicien à l’harmonie de l’Afreubo
14 octobre 2009


Objectif du projet.

Disposer d’un bugle à large tessiture pour aborder des concertos pour cor et piano ou violoncelle et piano, édités par exemple par Marc Reif dans la collection Sergei Nakariakov (qui joue un bugle à quatre pistons A. Courtois), pouvoir jouer successivement les quatre parties d’une partition de chœur ; en fait disposer d’un instrument polyvalent aigu et grave à la fois qui puisse aussi rapidement redevenir un bugle à trois pistons standard.

Conception de l’extension.

Contrairement à la trompette à perce cylindrique, la perce conique du bugle permet d’obtenir pour note à vide la plus grave un Do (en fait un Sib2) bien à l’octave inférieure du Do grave usuel (Sib3). En partant de ce Do le plus grave et en actionnant les pistons, on atteint successivement Si, Sib, …, Fa# (de La2 à Mi2) à l’octave inférieure des notes obtenues de façon analogue en partant du Do grave (Sib3) (notes les plus basses en pratique courante).
Le rôle de l’extension est donc de combler le mieux possible l’absence de notes entre le Fa (Mib3) et le Do# (Si2) au moyen d’un 4ème piston. Usuellement, sur tous les instruments en cuivre à quatre pistons, la commande du 4ème piston abaisse les notes à vide d’une quarte juste soit 2,5 tons ; elle remplace donc la combinaison du premier piston (qui abaisse de un ton) et du troisième (baisse de 1,5 ton). Toutefois la baisse cumulée est inférieure à 2,5 tons et les notes graves émises avec ce doigté (Ré et Sol) sont légèrement trop hautes : cela implique une correction de la justesse par le jeu de l’instrumentiste ou par le tirage de la coulisse du 3ème piston (en appuyant sur un trigger sur le bugle). Avec les instruments à quatre pistons les notes Ré, Do# (Do4 et Si3) et Sol et Fa# (Fa3 et Mi3) sont justes et obtenues simplement en actionnant le piston 4 seul ou les pistons 2 et 4 respectivement. Les techniques de correction de la justesse du bugle sont efficaces et font que les bugles à quatre pistons sont rares et donc coûteux. Par contre les trompettes piccolos sont en général à quatre pistons afin d’élargir la tessiture dans le grave.
Peut-on combler l’intervalle entre le Fa (Mib3) et le Do# (Si2) avec un bugle à quatre pistons ? La réponse est non comme vont le montrer les deux tableaux suivants qui chiffrent les défauts de justesse en écarts de longueur totale de la colonne d’air par rapport à la longueur théorique. En l’absence d’action sur le piston 4, voici dans le grave de l’instrument les écarts de longueur, pour un bugle Sib de longueur 1,475m de colonne d’air à vide, les allongements de la colonne d’air apportés par l’action des trois pistons et les longueurs théoriques de la colonne d’air pour les différentes notes considérées ont été obtenues dans « 36 études transcendantes pour trompette à pistons» de Théo Charlier (édition Alphonse Leduc) : aux pages 10 et 31 dans la partie consacrée à la théorie de l’instrument.

Note L théorique Doigté 1er piston 2ème pist. 3ème pist. 4ème pist. L totale écart (cm)
Do (Sib3) 1,475 0000 0 0 0 0 1,475 0
Si (La 3) 1,563 0200 0 0,088 0 0 1,563 0
Sib (Lab 3) 1,656 1000 0,181 0 0 0 1,656 0
La (Sol 3) 1,754 1200 0,181 0,088 0 0 1,744 -1,1
La (Sol 3) 1,754 0030 0 0 0,279 0 1,754 0
Lab (Solb 3) 1,858 0230 0 0,088 0,279 0 1,842 -1,6
Sol (Fa 3) 1,969 1030 0,181 0 0,279 0 1,935 -3,4
Fa# (Mi 3) 2,087 1230 0,181 0,088 0,279 0 2,023 -6,4

On voit en particulier la nécessité de corriger la justesse du Fa# grave en tirant de 3,2 cm la coulisse du 3ème piston.
Lors de l’action sur le 4ème piston, la colonne d’air est allongée de 0,494 m, ce qui entraîne une baisse du partiel émis d’une quarte juste ; le tableau suivant analogue au précédent montre que le Sol est juste, et aussi l’amélioration de la justesse du Fa#. On remarque aussi qu’avec les doigtés standards les notes allant du Fa jusqu’au Do# sont de plus en plus fausses.
Note L théorique Doigté 1er piston 2ème pist. 3ème pist. 4ème pist. L totale écart (cm)
Sol (Fa 3) 1,969 0004 0 0 0 0,494 1,969 0

Fa # (Mi 3)

2,087 0204 0 0,088 0 0,494 2,057 -3

Fa (Mib 3)

2,211 1004 0,181 0 0 0,494 2,15 -6,1

Mi (Ré 3)

2,342 1204 0,181 0,088 0 0,494 2,238 -10,4

Mi b (Réb 3)

2,481 0234 0 0,088 0,279 0,494 2,336 -14,5
Ré (Do 3) 2,629 1034 0,181 0 0,279 0,494 2,429 -20
Do # (Si 2) 2,785 1234 0,181 0,088 0,279 0,494 2,517 -26,8
Do (Sib2) 1,475 0000 0 0 0 0 1,475 0

On trouve cependant de nouveaux doigtés beaucoup plus justes : le doigté (1204) donne un Fa un peu trop bas (écart +2,7 cm), le doigté (0234) pour le Mi est quasi juste (–0,6 cm seulement), le doigté (1234) donne un Mib trop bas (+3,6 cm). Les notes Fa et Mib ne peuvent être corrigées que par le jeu de l’instrumentiste car déjà légèrement trop basses. Le plus gênant est donc que les notes Ré, et Do# n’existent pas puisque les écarts de justesse sont au moins de -11,2 cm pour le Ré et de –26,8 cm pour le Do#.

Le choix de la baisse d’une quinte juste par action sur le 4ème piston auquel j’ai finalement abouti résout presque entièrement les problèmes de justesse. Lorsque le piston 4 est actionné, il faut naturellement utiliser encore de nouveaux doigtés donnés dans le tableau suivant puisque l’instrument passe en Mib et que les coulisses des trois pistons sont 50% trop courtes dans ce cas. En effet, la longueur de la colonne d’air avec le 4ème piston seul enfoncé est augmentée de 50% par rapport à celle de l’instrument à vide soit 0,736 m. On comprend que certaines combinaisons des trois pistons puissent conduire à l’émission de notes justes (Mib en particulier car 1+2 (qui baisse de 1,5 ton en Sib conduit exactement à une baisse de un ton lorsque le piston 4 est actionné) ainsi que pour le Do# puisque dans ce cas la combinaison 1+2+3 correspond pratiquement à une baisse de 2 tons.

Note L théorique Doigté 1er piston 2ème pist. 3ème pist. 4ème pist. L totale écart (cm)
Fa (Mib 3)

2,211

0004

0

0

0

0,736

2,211

0

Mi (Ré 3)

2,342

0204

0

0,088

0

0,736

2,299

-4,3

Mi b (Réb 3)

2,481

1204

0,181

0,088

0

0,736

2,48

-0,1

Ré (Do 3)

2,629

0234

0

0,088

0,279

0,736

2,578

-5,1

Do # (Si 2)

2,785 1234 0,181 0,088 0,279 0,736 2,759 -2,6
Do (Sib2) 1,475 0000 0 0 0 0 1,475 0

On voit que les écarts de justesse sont tous inférieurs à ceux des Do# et Fa# de l’instrument en Sib et qu’ils peuvent être tous corrigés au moyen d’une coulisse réglable associée au 4ème piston. Cela est nécessaire car le Mi ne peut pas être corrigé autrement puisque le doigté du Mi est 0204. Par contre la coulisse habituelle du 3ème piston peut, si besoin, corriger les Ré et Do# dans ce registre puisque le piston 3 doit être actionné pour ces 2 notes.
Lorsque l’instrument passe en Mib uniquement par action sur le piston 4, la note la plus grave est un Fa (placée sur la 1ère ligne de la clé de Fa). En utilisant les doigtés indiqués dans le tableau ci-dessus, on peut atteindre toutes les notes jusqu’au Do# qui est la note la plus grave du bugle muni de cette extension, bien sûr, c’est un Si1.
Au moyen d’une embouchure standard de bugle, on atteint assez facilement le Ré2, une embouchure plus large permet de jouer facilement dans toute l’étendue de ce registre extrême. Grâce à cette extension, la tessiture est de l’ordre de quatre octaves (Si1 au Do5).

Réalisations.

J’ai fabriqué successivement deux extensions pour mon bugle Thomann FH-600, qui se mettent à la place du ton d’accord du bugle. Le fonctionnement de ces deux ensembles est très satisfaisant et conforme aux prévisions théoriques.
Le ton d’accord du bugle en laiton (diamètres extérieur de 11 et de 10 mm intérieur) muni de son embouchure, et la première extension fabriquée de toutes pièces (coulisse tirée de 2,5 cm pour obtenir un Mi juste) sont montrés séparément sur la photo ci-dessous.

Le bugle (avec le ton ôté) équipé de l’extension est présenté sur la photo ci-dessous :


Une valve rotative est utilisée pour faire passer à volonté le bugle de Sib en Mib grave. Des tubes en cuivre rouge recuit ont été utilisés et mis en forme par une technique à la glace évitant leur écrasement. Le diamètre intérieur des tubes est de 10 mm identique à la perce du ton et des coulisses des trois pistons. La valve rotative est équivalente à un 4ème piston et son action se fait rapidement avec le pouce de la main gauche. On aperçoit la commande du trigger de la coulisse du 3ème piston qui a été allongée pour être bien accessible. En dessous sur la droite, se trouve un anneau (réglable en position) fixé sur la coulisse associée à la valve rotative, et des butées réglables limitent la course de la coulisse. Le ressort de rappel de la commande de la valve est fixé sur le haut de l’entretoise qui est un tube soudé placé entre les deux tubes de forme circulaire et sans communication entre eux.

La deuxième réalisation met en œuvre des éléments de trompette fournis gracieusement par la société « Vents de Folie » située à Villejust dans l’Essonne, qui commercialise en France les instruments Zeff. La perce de la coulisse de trompette étant de 11,5 mm, des tubes de cuivre rouge de diamètre intérieur 12 mm ont dû être utilisés pour faire les liaisons au piston. La photo suivante montre cette extension placée sur le même bugle que précédemment ; la commande du 4ème piston se fait également avec le pouce de la main gauche, au moyen d’un anneau solidaire d’un système de transmission du mouvement vers le piston. La fourniture et le montage d’un ton de bugle Zeff (diamètre extérieur 11,5 mm) a permis de rendre l’extension compatible avec les bugles Zeff. En raison du tube de cuivre utilisé de diamètre extérieur 14 mm, cette extension est plus lourde que la première réalisation. La place prise par l’extension entre le blocage du ton et l’extrémité de l’embouchure permet dans les deux cas, de jouer au diapason La 440 aux températures que l’on a l’intérieur des habitations (~20°C).



Résultats.

Les essais que j’ai effectués sur les deux prototypes ainsi que la pratique sur des concertos pour cor de Mozart et Haydn valident ce concept. Je pense que la solution avec une valve rotative est préférable à celle avec un piston, en particulier au niveau de la commande qui est plus directe ; l’ensemble est aussi plus compact. Pour une version plus élaborée, il faudrait trouver une valve rotative de petit diamètre extérieur afin de ne pas réduire les possibilités d’accord de l’instrument. Il faudrait aussi trouver des tubes en laiton de faible épaisseur afin de réduire le plus possible le poids de l’extension. Le diamètre intérieur de ces tubes doit être égal à la perce du ton et des coulisses des trois pistons du bugle à équiper, pour éviter tout changement brutal de la perce qui serait nuisible à l’établissement du son.
Cette étude s’applique aussi au bugle à quatre pistons : on peut avoir intérêt pour étendre la tessiture à remplacer la 4ème coulisse d’origine par une coulisse réglable plus longue de 24 cm. On profite ainsi de toutes les notes graves avec une meilleur justesse.

Remerciements.

D’abord à Jean Vasseur de la Société Vents de Folie (instruments Zeff) pour son aide dans la fourniture d’éléments de trompette, pour ses conseils et encouragements que j’ai beaucoup appréciés. A mon ancien collègue et ami Daniel Pascal du laboratoire de l’IEF de la Faculté des Sciences d’Orsay avec lequel nous avons peiné mais réussi à tourner le tube qui remplace le ton du bugle sur l’extension. A mon professeur de trompette Alain Faucher qui m’a soutenu lorsque j’ai commencé à aborder les concertos pour cor de Mozart avec une extension du bugle encore imparfaite. A Bernard Bonin musicien physicien et ami de l’Afreubo avec qui je discute volontiers de nos réalisations respectives lors des pauses. Enfin à Joël Eymard avec qui j’ai le plaisir de jouer régulièrement dans le pupitre des trompettes à l’Afreubo, pour l’intérêt qu’il a manifesté pour ce travail et ses encouragements pour que je publie cet article sur son site internet consacré à la trompette.